Le carnet du CFC
Les KDL - CFT de PITHIVIERS (Loiret)
Bernard MERGER
2ème guerre mondiale
Voila trois consonnes qui semblent ne rien vouloir dire dans le monde ferroviaire, tout au moins pour les non connaisseurs. Dans la saga petits écartements et grosses machines, apparaissent les
«Kriegs Dampf locomotive», autrement dit les locomotives de guerre standard allemandes de la deuxième guerre mondiale. Cette série avait été commandée, par l’OKH (Oberkommando des Heeres), à la Sté Franco Belge, en 1943. L’utilisation de ces engins devait s’étendre sur le réseau ferré qui allait de l’Autriche à la Russie, pays alors encore occupé. Les premières machines ont été livrées à la base expérimentale des Pionniers de la Wehrmacht sise à Rehagen-Klausdorf, pour la réception technique, avant leur répartition sur les fronts possédant des voies étroites, l’Autriche, la Hongrie, et l’URSS occupée en partie.
Sans être un technicien de la construction ferroviaire, le premier détail qui attire l’œil est le gabarit impressionnant pour la voie de 0,60. En effet ce n’est pas le Decauville qui avait été adopté, mais le prussien vu la destination originelle. Pensez donc, 19 tonnes à vide sur un si petit écartement
! Le deuxième détail qui attire l’attention est l’aspect plutôt disgracieux donné par les bâches à eau, débordant largement au-delà de la boîte à fumée. Les goûts et les couleurs ne se discutant pas, il faut se rappeler, quand même, que ces machines étaient accouplées, à la sortie d’usine, à des tenders de grande capacité, à deux bogies. L’affranchissement de toute logistique était évident. Les armées allemandes ne purent utiliser ces engins, revers de guerre connus, obligeant la Franco-belge ayant encore la majorité de cette commande approvisionnée et/ou en cours d’assemblage à contacter les VFIL pour placer ces machines, en France. Aussi, bon nombre de réseaux industriels «héritèrent» de ces locomotives, dont certaines ne sortirent d’usine que pour rejoindre leur lieu de travail dans le civil. La présence du tender à deux bogies, fut plus
une gêne qu’autre chose, car n’étant plus destinées à circuler en ligne, mais sur des embranchements, les évolutions, avec une telle réserve d’eau et de charbon attelée, amena les exploitants à les tendériser, dans leurs ateliers, d’où cet aspect que nous connaissons, tout au moins à l’AMTP, ou comme la 4-13, préservée elle aussi.
La machine préservée par le CFCD, petite sœur de notre 4-12, a été remise dans son état originel, sauf que le tender est à essieux, et non à bogies, et de capacité moins importante que celui à sa sortie de construction. Vu le gabarit généreux, l’intérieur de la cabine de conduite ne donne pas la sensation d’être à l’étroit, loin s’en faut.
Toutes les commandes sont faciles d’accès, et cet intérieur ne dégage pas l’impression de ramassis dans lequel on aurait installé tout ce qui est nécessaire pour l’exploitation, à l’inverse des machines plus petites, ce qui va de soi, les parois n’étant pas extensibles, et le confort des agents de conduite, était bien la dernière des préoccupations de l’époque, mais, au moins, on peut s’y retourner sans se gêner, à l’inverse des DFB, par exemple. Ayant en mémoire les conditions climatiques sous lesquelles elles devaient circuler, il n’est pas surprenant de trouver une doublure en bois dans la cabine, y compris plancher, portes et fenêtres presque étanches, ainsi qu’un lanterneau en toiture.
Les caractéristiques de ces locomotives sont à l’image de leur aspect : plus qu’impressionnantes. Surface de grille : 1
m² surface de chauffe : 38 m² de surface de surchauffe : 13 m². En effet la surchauffe avait été installée d’origine, conférant à ces machines prévues pour tous les types d’écartement, une certaine originalité de construction, vu l’époque ! Le timbre est de 14 Kg, et le poids en charge de 22 tonnes. L’empattement est de 2,70 m, elles possèdent deux sablières, et un graisseur centralisé mécanique. Comme la 3-5, elle n’a pas de sifflet, mais une sirène, d’une seule tonalité grave, et quand elle est actionnée, on comprend toute la signification de l’expression «la sirène mugit». C’est sûr, on l’entend venir ! Le châssis est intérieur et à distribution Heusinger. Le diamètre des roues, neuves, est de 630 mm, et il est à noter que le 3ème essieu est démuni de
boudin, afin de faciliter l’inscription en courbe serrée, aidé en soi, il faut le dire, par un certain jeu des essieux avant sur le plan latéral de 44mm ; les boîtes de roulement de ces essieux sont attelées à un balancier horizontal, qui pivote en son milieu autour
d'un axe vertical.
Ainsi les déplacements latéraux de ces essieux se font en sens contraire. Les deux premiers essieux se déplacent dans les courbes grâce à un balancier «Beugniot». Enfin, quand on regarde de profil une KDL,
on voit bien que l’essieu arrière est fort décentré par rapport aux trois autres !
Les cylindres ont un diamètre de 330 mm et une course de 310 mm. Une turbo génératrice, située sur l’arrière de la cheminée, fournit l’éclairage. Elles sont dotées de deux injecteurs, un aspirant et l’autre en charge qui ne posent pas de problème d’amorçage, rustiques, certes, mais drôlement efficaces. Ce sont des locomotives plus qu’agréables à chauffer et à conduire, mais il ne faut pas oublier que, surchauffe aidant, il y a un temps certain de réaction entre le mouvement du régulateur et la réponse des cylindres.
Si l’on n’y prend pas garde, bonjour les dégâts, et les voyageurs debout se retrouvent assis sans savoir pourquoi
! et quant à l’attelage, on risque d’envoyer promener la rame Dieu seul sait où, et encore, il n’en est pas sûr
! Leur puissance estimée de 300 à 320 CV, ce qui est énorme, permettait de remorquer des charges de plus de 150 tonnes brutes, en rampe de 23mm/m, par exemple, ce qui donnait l’occasion de voir circuler, sur les réseaux betteraviers, des convois d’une longueur impressionnante de plus de vingt tombereaux à bogies, dotés en plus, en majorité, de rehausse. Deux convois remorqués par une KDL, se croisant à l’évitement d’une bascule, donnaient un spectacle assez rare, malheureusement pas fixé sur une pellicule, tout au moins à ma connaissance. De même, tout aussi impressionnant, pour les néophytes, c’est le ramonage des tubulures, d’un coup de «souffleur». Pollution, vous avez dit Pollution ? c’est quoi çà ? En tout cas, ce ne sont pas des gaz d’échappement qui sentent l’essence
!
Le TPT a possédé 6 KDL, dont les 4-14 et 4-15, rachetées à la sucrerie de Coucy le Château, où elles portaient les numéros 22 et 23, mais, l’ombre de fermeture du réseau planant déjà, elles ne furent pas remises en service.
(Cliché A Elambert).
Ces deux machines ont été mises en service en 1944, alors que le reste de la série ne le fut qu’en 1945. Lors des campagnes betteravières, ces machines étaient préférées à d’autres séries, vu leur puissance et leur souplesse d’utilisation. Les numéros ornant les flancs des machines du TPT ne sont pas là pour faire «joli», mais parce qu’en 1930, le réseau adopta cette numérotation, composée de deux nombres. Le premier indiquant le nombre d’essieux, 4, le second le numéro dans la série, 12, d’où 4-12 pour la machine du musée, baptisée
«Pithiviers», 3-5 pour la bretonne «Le Minihic». Ceci en souvenir des noms de localités attribués aux machines, 22-3 Decauville articulée de 1892, par exemple, soit par un numéro, en général celui que portait la machine lors de son achat par le TPT. La 4-12, après une période ou elle fut peinte en vert, elle aussi, a reçu une livrée plus en rapport avec son utilisation prévue, à savoir noir, châssis rouge ainsi que les filets, livrée plus en rapport avec son appellation de locomotive de guerre. On imagine mal une telle locomotive, en période de conflit avec son ancienne peinture, plutôt style palette de couleurs
! La soute à charbon, située derrière la cabine a une contenance d’environ plus d’½ tonne, ce qui est déjà pas si mal à charger, quand elle est vide, et sans sauterelle pour aider. Elles n’assurèrent qu’exceptionnellement et de façon très épisodique le trafic «voyageurs», étant réservées à l’acheminement des trains de betteraves entre les bascules et les sucreries, ces dernières ayant dans leurs emprises leur propre réseau ; la coupe des rames et les manœuvres étaient assurées par des machines de puissance plus faible, type 030T Decauville, entre autres. La simplicité, la robustesse et leur puissance élevée auront été des éléments caractéristiques qui militèrent en faveur d’une préservation par des réseaux, comme le TPT, qui a assuré son trafic uniquement en traction vapeur jusqu’à sa fermeture. La 4-12 a assuré, avec la 3-5 le déferrement presque total du complexe ferroviaire, tâche bien ingrate, avant d’être donnée par le département du Loiret, pour la création du musée, mais dans
un état guère correct. En 1978, après révision du mécanisme à Gray (Haute-Saône) et réfection partielle de sa chaudière à Paris, elle circulera jusqu’en 1987. Le
23/7/1992 tombe l’arrêté de son classement comme Monument Historique, et elle reprend ses circulations à partir de 1994. En 2005, elle subit un retubage complet, qui fut assez laborieux, y compris les tubes de surchauffe, et est déclarée bonne pour le service par l’organisme de contrôle ; c’est donc reparti pour 10 ans.
Il reste, à ce jour, outre notre 4-12, la KDL tendérisée sur le réseau du CFCD, dans la Somme,
l’ancienne 4-13 du TPT actuellement sur le réseau de l’ARVO, en prêt. La charge remorquée, même en composition maximale autorisée, n’est qu’un jeu vu la puissance disponible au crochet ; pas de risque de fatigue pour cette locomotive dans sa fonction actuelle
!
Grâce aux photos, il est aisé de voir la différence entre la version «d’origine», et celle modifiée par les réseaux sucriers, pour s’affranchir des contraintes, qu’un attelage d’une telle longueur, pouvait engendrer, en exploitation courante et astreignante lors des campagnes betteravières, alors que le matériel devait tourner à son maximum de disponibilité. De plus, les triangles de retournement n’ont jamais existé sur des réseaux industriels, les plaques tournantes, elles, oui, dans les dépôts, mais cela aurait été du temps de perdu, et la marche tender en avant aurait généré plus de désagréments que d’avantages dans l’exploitation quotidienne.
La peinture appliquée sur la KDL de la Somme est attrayante, elle aussi, surtout que cela affine cette machine qui est assez imposante en version avec tender, quoique la
4-12 de l’AMTP donne, elle, une impression de puissance assez surprenante par rapport à l’écartement de la voie et sa hauteur sur «pattes».
La locomotive du CFCD, qui portait le n°21 sur le réseau de la sucrerie de Coucy le Château, se trouva numérotée 4-14 lors de son achat par le TPT, mais elle n’a jamais roulé sur ce réseau, fermeture en vue. L’arrivée de locomotives aussi puissantes sur le TPT ne fut pas étrangère à l’hésitation de ses dirigeants à se tourner vers la traction diesel, qui ne s’est concrétisée qu’en 1959, par l’achat d’occasion d’un locotracteur de 75 CV, Decauville à trois essieux et transmission par bielles, à partir d’un faux essieu. Quant à la tenue du feu, il n’y a aucun problème pour l’assurer, et sa consommation d’eau est plus que raisonnable, due, en partie, à la légèreté relative des rames, tout au moins pour cette puissante machine
Il ne reste qu’à souhaiter voir cette KDL 4-12 encore très longtemps en tête des trains, rare représentante d’un type de locomotive faisant partie de la saga de la traction ferroviaire, en vapeur.
Contact
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