Le carnet du CFC

Le Calvados et ses chemins de fer

Texte et cartes postales Guy Defrance

Un des membres du CFC ayant passé une partie de ses vacances estivales dans le Calvados, nous a ramené des photos de vestiges ferroviaires de ce département. Nous en avons profité pour mener une petite étude sur les différentes lignes ayant existé en ces lieux.

Carte du Calvados et de ses chemins de fer. Infographie Guy Defrance.

Les chemins de fer du Calvados ou l'autre CFC en voie de 60
En 1889, le succès de Decauville lors de l’Exposition Universelle fut tel que l’Armée, qui jusqu’à cette date s’opposait à l’utilisation de cet écartement, leva son veto ; elle venait d’ailleurs d’adopter celui-ci pour ses propres besoins.

Le plus important réseau français en voie de 60
Dès 1891, le département du Calvados déclarait d’utilité publique les premières lignes en voie de 60 d’un réseau qui, à son apogée, totalisera 223 km, ce qui en fera le plus important réseau de France à cet écartement. La Société Decauville Aîné, bien connue de tous les passionnés de chemins de fer à voie de 60, se vit concéder les lignes de Dives à Luc-sur-Mer (mise en service en 1891-92) et de Grandcamp à Isigny-sur-Mer. En 1893, le raccordement vers Caen Saint-Pierre est livré à l’exploitation alors qu’il ne sera déclaré d’utilité publique qu’en 1895.

La gare de Luc-sur-Mer lors de l’arrivée d’un train.
Un train à Ouistreham, ligne de Luc-sur-Mer.

Très vite, la Société Decauville rencontre des difficultés financières et se retire de l’exploitation ainsi que de la construction du réseau. La Société des Chemins de Fer du Calvados (C.F.C.) lui succède à partir de 1895. Elle achève la ligne en construction de Grandcamp à Isigny et reprend l’exploitation de celle de Dives à Luc-sur-Mer.

Traversée de la Place Gambetta à Isigny-sur-Mer par un train des C.F.C.

De nouvelles concessions sont accordées aux C.F.C. en 1897 : Bayeux à Port-en-Bessin, Bayeux à Courseulles avec embranchement vers Arromanches, Grandcamp à La Mine-de-Littry, Caen à Falaise.

Les C.F.C. à Bayeux. Infographie Guy Defrance.
Un train en gare de Vierville-sur-Mer, ligne de Grandcamp à La Mine-de-Littry.
La gare de La Mine-de-Littry.
La gare de Caen-Saint-Pierre des C.F.C. On distingue à l’intérieur de la courbe la voie des tramways urbains surmontée du fil de contact.
Autre vue de la gare de Caen-Saint-Pierre des C.F.C.
Situé sur l’embranchement de Dives-Cabourg prenant naissance en gare de Bénouville (ligne Caen—Luc-sur-Mer), le pont pivotant de Rainville sur l’Orne était un des rares ouvrages d’art spécifiques aux C.F.C.
La gare de Cabourg précédant le terminus de Dives-Cabourg.
Un train des C.F.C. traversant Bretteville-sur-Laize, ligne Caen—Falaise.
Sur la ligne Caen — Falaise, un train entre en gare de Potigny-la-Brèche-au-Diable.

La concession de 1899 concerne la ligne de La Mine-de-Littry à Balleroy où elle rejoint la ligne de Bayeux à La Besace.            

La gare de Balleroy, gare de jonction de la ligne de La-Mine-de-Mitry sur la ligne Bayeux — La-Besace.
Croisement de deux trains en gare de Caumont-L’Eventé, ligne Bayeux — Saint-Martin-des-Besaces.
Arrivée d’un train au terminus de Saint-Martin-des-Besaces.

Le réseau compte à cette époque deux groupes distincts non reliés entre eux : celui de Caen et celui de Bayeux ; ils ne sont séparés que par un très court trajet entre Courseulles et Luc-sur-Mer. Entre ces deux localités existe une ligne à voie normale (1,44m) concédée au Chemin de Fer de Caen à la Mer (C.M.). On décide alors de poser en 1900 un troisième rail dans la voie normale entre ces deux localités afin d’obtenir une liaison en voie de 60. Celle-ci donne lieu à péage et les trains à voie étroite n’effectuent aucune desserte locale. Cette interpénétration voie de 60 / voie normale est sûrement unique en France. Il est à noter que le peu de place disponible à Courseulles avait obligé de poser la voie des C.F.C. sur le quai de la gare du grand frère à voie normale !

En 1904, un raccordement interne en ville de Caen permet de relier les lignes de Luc (gare de Saint-Pierre) et de Falaise (gare de l’Ouest) ; un embranchement portuaire est également créé dans cette même ville à cette époque.

Les installations ferroviaires de Caen. Infographie Guy Defrance.

Comme pour beaucoup de réseaux, l’après Grande Guerre marque le déclin du trafic concurrencé par les camions et les autocars. Seule la ligne de Caen à Luc et à Dives conserve un niveau de trafic conséquent. En 1925, trois automotrices sont mises en service en remplacement de certains trains à vapeur, mais le déficit croît toujours. La suppression du trafic voyageurs intervient en 1929 entre Isigny et Balleroy puis en 1930 entre Bayeux et La Besace. Cette dernière ligne, mise en exploitation en 1904 de Bayeux à Balleroy et en 1906 de Balleroy à la Besace, sera celle qui aura duré le moins longtemps (respectivement 26 et 24 ans). En 1933, seule la ligne de Caen à Luc-sur-Mer est encore en exploitation avec un important trafic estival. Les autocars de la S.A.T.O. puis de la S.G.T.D. ont progressivement remplacé les trains sur les autres lignes.

En 1937, le département confie à la Société des Courriers Normands l’exploitation de la ligne à voie normale de Caen à la Mer et celle à voie étroite de Caen à Luc-sur-Mer. Sur cette dernière, le trafic fer est conservé en été et transféré sur route en hiver. Lors de la déclaration de guerre en 1939, le trafic, tant voyageurs que marchandises, est effectué exclusivement par voie ferrée toute l’année. Lors du débarquement du 6 juin 1944, la ligne est gravement endommagée par les combats. Transformée par les alliés en piste de circulation pour les convois militaires, elle ne sera jamais reconstruite. Première ligne ouverte au trafic et dernière ligne fermée, elle aura duré 53 ans.

L’équipement des lignes
Dans la majorité des cas, les lignes des C.F.C. étaient établies en accotement des routes, seules la section de Caen à Riva-Bella ainsi que quelques déviations étaient établies en site propre pour contourner certaines communes (entre Balleroy et Caumont, ligne d’Isigny à Balleroy à l’arrivée à Balleroy) ou éviter des profils trop difficiles (ligne de La Besace avant Balleroy, aux abords de Falaise la descente vers Fougères-Château de la ligne Caen—Falaise).

En gare de Riva-Bella.

Les premières lignes, établies par les Etablissements Decauville Aîné, étaient en voie type Decauville, rails de 15 kg soudés sur traverses métalliques. La charge par essieux était donc limitée à 3,5 t par essieu. Par voie d’entretien, une partie de ces itinéraires d’origine furent modernisés en rails Vignole de 18 ou 20 kg posés sur traverses bois, comme l’étaient les autres lignes dès leur création. Dans ces conditions, la charge par essieu était de 7 t maximum. Certaines traversées de villes, particulièrement sur certaines places importantes de grandes villes comme à Caen, étaient équipées de rails à gorge type Broca.

Comme déjà indiqué précédemment, la ligne de Courseulles à Luc-sur-Mer était établie par la pose d’un troisième rail à l’écartement de 60 cm au centre de la voie normale du C.M. Des appareils de voie spéciaux permettaient l’insertion du Decauville dans la voie du grand frère à chaque extrémité de la ligne ainsi qu’en gare de Saint-Aubin-sur-Mer ou les deux écartements se séparaient puis se dédoublaient facilitant ainsi les possibilités de croisement et de dépassement des convois des deux compagnies.

En gare de Saint-Aubin du Chemin de Fer de Caen à la Mer (C.M.), les deux écartements sont séparés et possèdent chacun un évitement. Au premier plan, un train des C.F.C. rencontre un train du C.M.
Schéma de la ligne entre Courseulles et Luc-sur-Mer. Infographie Guy Defrance.

En règle générale, les rampes n’excédaient pas 40‰, les courbes minimales étaient de 40 m de rayon, s’abaissant parfois à 30 m lors de la traversée de certaines localités.

Les matériels utilisés
Les premiers matériels étaient conçus et construits par Decauville. Les locomotives à vapeur étaient des 020 + 020 T articulées compound type Mallet dont certaines avaient été construites en 1889 pour l’exposition universelle de 1889, d’autres ayant été construites en complément en 1890 sur le même type (n°1 à 7 sur le réseau). Ces locomotives (poids à vide 9,5 t) remorquaient des voitures de voyageurs de plusieurs types :

Pour le trafic marchandises, on retrouvait des wagons typiques Decauville :

Tous ces matériels étaient équipés d’origine d’attelages à tulipes et anneaux. Ultérieurement, celui-ci fut remplacé par un attelage à tampon central et tendeur à vis unique placé sous le tampon, attelage équipant d’origine les autres matériels du réseau.

Des locomotives Weidknecht furent ensuite reçues sur le réseau. Les n°7 et 8 de 1893/1909 étaient des 031 T transformées en 032 T (poids à vide 10 t), la n°9 était une 020 T de 1900 (poids à vide 10 t) et les 9 à 14 des 230 T de 1902/1908 (poids à vide 11 t) ; on remarquera que des machines différentes portaient le même numéro, celui-ci étant repris pour d’autres matériels lors de la disparition du réseau des machines primitives portant ledit numéro, ce qui ne facilite pas toujours la tâche pour s’y retrouver ! Une 020 T construite par Guillaume (n°101) fut cédée aux Mines de Barbery en 1905. Une 030 T construite par Blanc-Misseron (n°135) en 1895 (15 t à vide) complétait le matériel moteur « classique », tous ces matériels étant équipés d’une cabine à l’arrière.

Les matériels reçus par la suite seront du type « tramway », bicabine. On trouve ainsi les locomotives n°222 à 225, 231, 232 (type 030 T de 1899/1900, 15,5 t à vide), 233 & 234 (type 032 T de 1901, 18 t à vide), 100 à 109 (type 230 T de 1902/1909, 18 t à vide) et enfin 301 à 303 (type 031 T de 1913, 18 t à vide). Toutes ces locomotives sont des Tubize (Belgique) construites par les Ateliers du Nord de la France (ANF) à Blanc-Miseron sous licence.

C’est également les ANF qui fournirent les matériels remorqués nécessaires à l’extension du réseau. 130 wagons de 10 t à deux essieux (wagons couverts, tombereaux et plats), 50 wagons à bords métalliques appelés « wagons-coffres » (pour le transport du minerai) et 10 wagons tombereau à bogies complétèrent ainsi le parc.

Enfin, il est bon de mentionner l’arrivée en 1925 de 3 automotrices (on dirait de nos jours « autorails ») Crochat à 2 essieux et à transmission électrique. Un moteur à essence de 30 ch entraînant une génératrice fournissait le courant nécessaire à deux moteurs électriques de 10 ch. Équipées de 2 postes de conduite, immatriculées AU-1 à 3, elles pouvaient transporter 15 voyageurs assis et 15 voyageurs debout. En 1936, deux automotrices à bogies construites par Decauville furent rachetées aux Tramways de Savoie. Motorisées sur le même principe que les précédentes, d’une puissance de 50 ch, elles transportaient 20 voyageurs et étaient aptes à remorquer une voiture du parc ; elles étaient numérotées DC-11 et 12. À la fermeture du réseau, elles furent transférées à Pithiviers.

Le Chemin de fer de Caen à la Mer (C.M.)
La ligne de Caen à Courseulles est très ancienne. Déclarée d’utilité publique en 1873, concédée à MM. Maugé et Castor, elle est placée sous la législation de 1865 et établie en voie normale. Ouverte par tronçons en 1875 et 1876, son raccordement avec la Compagnie des Chemins de Fer de l’Ouest est réalisé en 1877. La Compagnie du Chemin de Fer de Caen à la Mer se substitue aux concessionnaires initiaux en 1886.

En 1933, les Chemins de Fer de l’État reprennent l’exploitation en modernisant celle-ci restée trop longtemps avec ses matériels d’origines devenus vieillots et dépassés au cours des ans. En 1937, la Société des Courriers Normands reçoit en affermage l’exploitation de la ligne. Le service voyageurs est transféré sur route à l’exception des périodes de pointe estivales, y compris l’acheminement des voitures directes Paris-Saint-Lazare — Courseulles.

En 1939, avec la disparition des autobus, l’intégralité du trafic est assuré par la voie ferrée. Suite aux destructions subies lors du débarquement allié, le trafic est suspendu en 1944 et ne reprendra qu’en 1945.

À partir de 1947, le trafic voyageur par fer redevient saisonnier suivant le même schéma qu’en 1937. En 1951, le trafic voyageur sera supprimé ainsi, d’ailleurs, que le trafic marchandises de détails et le trafic messageries. Le service des wagons complets sera supprimé en 1952. Après déferrement, la plateforme est partiellement transformée en voie routière. Le raccordement avec le grand réseau sera encore utilisé quelques années comme voie mère d’embranchements avant d’être déferré à son tour.

Établie en site propre sur tout son parcours, la ligne était équipée de rails Vignole de 30 kg remplacés ultérieurement par des rails Vignole de 39 kg de réemploi S.N.C.F. Son origine se situait dans la gare de Caen-Saint-Martin, bâtiment élégant et imposant équipé d’un buffet.

Le B.V de la gare de Caen-Saint-Martin côté rue. Largement dimensionné, il devait accueillir également une ligne de Caen à Aunay-sur-Odon, déclarée d’utilité publique et concédée en 1872 à la Compagnie des Chemins de Fer Normands, ligne qui ne fut jamais construite et déclassée en 1876. Remarquez le buffet à gauche du bâtiment et le tramway urbain au premier plan à gauche.
Arrivée d’un train en gare de Saint-Aubin ; au premier plan, remarquez la présence de la voie étroite des C.F.C.

Le terminus de Courseulles possédait un B.V. situé en bout des voies et perpendiculaire à celles-ci. Cette situation posa quelques problèmes pour l’implantation ultérieure de la ligne en voie de 60 des Chemins de Fer du Calvados.

Intérieur de la gare de Courseulles. Remarquez la double voie de 60 des C.F.C. établie à même le quai. La ligne continuait vers Rys et Bayeux en sortant à droite du cliché, le long du B.V. en contournant celui-ci.

Les rampes ne dépassaient pas 13‰ sur la ligne principale et 15‰ sur le raccordement aux Chemins de fer de l’Ouest. Celui-ci établi en site propre contournait la ville de Caen par l’ouest, traversait à niveau la voie métrique du réseau urbain, et se raccordait au grand réseau au niveau de la bifurcation des lignes de Cherbourg, Vire et Flers à 4 km de la gare de Caen-Ouest.

D’abord exploitée par son matériel propre, la ligne vit circuler, par la suite, toutes sortes de matériels Ouest puis État et enfin S.N.C.F., tant en ce qui concerne les engins de traction que le matériel remorqué voyageurs et marchandises.

Matériel à étages d’origine de la ligne en gare de La Délivrande.
Arrêt en gare de Bernières d’un train comportant des voitures OCEM État (C10 sanitarisable au premier plan) en provenance directe de Paris-Saint-Lazare.

Moult — Le-Fresne-D’Argences
Réclamée depuis longtemps par les habitants, cette courte ligne de 4 km était destinée à relier le bourg d’Argences à la ligne Paris—Cherbourg en gare du Moult. Déclarée d’utilité publique en 1907 à M. Goumez, la voie ferrée est mise en service en 1912 par la Compagnie du Chemin de Fer d’Argences qui se substitue en 1908 à son promoteur. Servant de débouché à la fabrique de briques et de tuiles du lieudit Le-Fresne-D’argences à 1,5 km du bourg, son trafic voyageur est transféré sur route en 1931 avant d’être totalement supprimé en 1936. Le trafic marchandises persistera jusqu’en 1966.

Ligne à écartement normal et au gabarit des grands réseaux, elle était équipée en rails Vignole de 20 kg. En site propre, la ligne comportait de nombreux passages à niveau. Il y avait deux gares principales, à Moult ou le B.V. faisait face à celui des Chemins de Fer de l’État, et à Argences, le terminus du Fresne-d’Argences n’étant équipé que d’un modeste abri.

Gare de Moult de la Compagnie du Chemin de Fer d’Argences ; au second plan, gare de l’État.

Caen — Soumont
Cette ligne appartenant à la Société Métallurgique de Normandie (S.M.N.) avait été déclarée d’utilité publique en 1912. Arrêtés par la Grande Guerre en 1914, les travaux de construction ne reprendront qu’après le conflit et la mise en service ne se fera qu’en 1920.
Construite à but industriel (transport du minerai de fer), elle effectua également un important trafic marchandises par wagons complets remis sur embranchements particuliers. Un service interne de voyageurs fut organisé à une époque pour le transport du personnel de l’entreprise.
Longue de 30 km, la ligne est établie en totalité en site propre ; elle est à double voie au départ de Caen sur 4 km. Équipée en rails Vignole de 50 kg, elle supporte les plus lourds convois de marchandises comme sur le grand réseau. Elle est classée comme ligne privée mais n’appartient ni à la catégorie des Chemins de fer d’intérêt général, ni à la catégorie des Chemins de fer d’intérêt local.

 

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