Le CFMM
Le Chemin de Fer Maraîcher de Montesson.(Cette appellation due à l’espièglerie de l’auteur n’a jamais existée)

Daniel Le Guilloux 

Image typique de la plaine de Montesson (photos et dessins DLG).

Montesson, petit village maraîcher était encore il y a vingt ans une toile d’araignée tissée par de la voie de 40 installée là, à des fins agricoles.

Aujourd’hui, après le passage à la " mécanisation moderne " : tracteurs ; canons à eau, cette toile s’est réduite à quelques fils.

En se promenant dans la plaine, coupée en deux par l’autoroute A14 (l’autoroute la plus chère du monde), mais, préservée - pour combien de temps encore de toute construction - on rencontre ça et là quelques tas de rails, des wagonnets isolés et des mouilleurs (arroseurs) dont certains sont encore en activité.

Quelques voies sont en place, préservées ou posées à dessein par certains " anciens " irréductibles et peut-être nostalgiques.

La dernière gare de Montesson avec courbe et contre-courbe à l’arrivée.

Le honnêtes ferrailleurs et les " charognards " de nuits finissent la destruction du réseau.

Amoureux de ces petits trains et motivé par la préservation du patrimoine ferroviaire français, j’ai entamé il y a cinq ans environ une récupération patiente, ce qui m’a permis de sauver des mâchoires de la presse une douzaine de wagonnets, 500 m de rail et diverses pièces comme des aiguillages, plaques tournantes, dérailleurs, etc.

Avec le fruit de cette récupération, j’ai implanté au fond de mon jardin un petit réseau sous l’oeil curieux des voisins et badauds.

Ceci fera l’objet d’un prochain article pour .

Afin de mieux connaître ce chemin de fer, je pris rendez-vous avec Monsieur Jean Laglantine, maraîcher à Montesson depuis 50 ans qui me raconta ce qui va suivre.

Naissance du chemin de fer

Avant la derrière guerre, la plaine de Montesson était " travaillée à la main ", la terre était retournée à la bêche, le transport des outils, des semences et des récoltes se faisait à dos d’homme à l’aide de hotte. Ceci avait pour effet de provoquer le tassement de la terre à cause du piétinement continuel, qui rendait le travail encore plus difficile et nuisait aux récoltes.

Dans le même temps, les carrières de Croissy et de Carrières sur Seine voyaient leurs gisements arriver à expiration. A noter qu’une grande partie des monuments de Paris furent construits à l’aide des pierres extraites de ces carrières qui disparurent pour laisser place aux champignonnières qui prirent la relève.

Les carriers utilisaient très tôt les wagonnets et la voie portative de 40. Les maraîchers comprirent rapidement l’intérêt d’un tel matériel et son transfert s’effectua tout naturellement du sous sol vers la plaine.

On vit alors apparaître des wagonnets, plats, à plate-forme élargie pour remplacer les hottes, des wagonnets à benne ou berce pour le transport et l’épandage du fumier et enfin les fameux mouilleurs pour l’arrosage des cultures.

Le tissage de la toile était amorcé et peu à peu, ce que Paul Decauville avait décrit, vit le jour à Montesson.

Le matériel de voie.

Il était essentiellement constitué par de la voie portative en rail de 4,5 kg/m, riveté sur traverses métalliques formant des coupons de 5 m de marque Decauville Acier ou Schneider au Creusot.

Quelques essais eurent lieu en voie constituée de rails de 7 kg/m ou en voie de 50 en rails de 7 et 9 kg/m, mais ce matériel fut vite abandonné à cause de son poids dissuasif pour déplacer la voie.

Plaque tournante montée sur galets.

Les aiguillages ne furent pas utilisés car leur emploi était délicat sur les terrains de cultures (risque de blocage, maniement difficile, etc.).

Les changement de voie étaient effectués à l’aide de plaques tournantes et de dérailleurs.

Quelques portions de courbe de faible rayon et de 1,25m de longueur () étaient utilisées pour le raccordement des voies parallèles à la voie principale, ceci à l’aide de dérailleurs (voir schéma et implantation des voies).

Durant la période hivernale, le personnel qui n’était plus occupé aux travaux des cultures déposait les voies (voie tordue, traverses désolidarisées) et procédait à leur badigeonnage à l’aide de bitume chaud. Le bitume provenait de la Société Bigorre Bitume à Tarbes. Il était fondu dans de gros récipients disposés au dessus d’un feu de bois. Ces chantiers étaient l’occasion de rencontres et de grands " casse-croûte " impossibles à faire en période de culture.

Le matériel roulant

Il n’y eut jamais de matériel de traction mécanique. Seule la traction hippomobile fut testée, mais vite abandonnée à cause du poids des chevaux qui tassaient la terre. D’autre part le recours aux chevaux ne pouvait se justifier que par la traction de train de wagonnets, ce qui était chose rare. En fait un homme poussait un wagonnet.

Les wagonnets utilisés étaient de marque

Wagonnet à benne basculante en voie de 40.

Au début de l’exploitation des wagonnets à benne étaient utilisés pour distribuer le fumier amené par la route.

La quantité était de 1 benne de chaque coté de la voie par portion de 5 mètres. Au moment de l’apparition des engrais, les bennes furent enlevées des wagonnets, et reconverties en bac à laver les légumes.

Les wagonnets finirent souvent leur carrière en plateau - après démontage des berces - pour le transport des cagettes de légumes. Il y eût même des wagonnets " rail-route " dont j’ai pu sauvegarder un exemplaire chez un ferrailleur. 

Essieux rail-route

Le mouilleur ou l’arroseur encore appelé " diluvien ".

Gros plan sur un mouilleur

Cet appareil est né de la collaboration de Clément Ader, du constructeur de la machine de Marly et de Cugnot. Le mouilleur, comme son nom l’indique, était destiné à arroser les plants de cultures en pluie fine. Une prise d’eau située au milieu de deux parcelles alimentait le mouilleur. Par l’intermédiaire d’une turbine, l’eau sous pression de 6 bars servait à la propulsion de l’engin, avant d’être dirigée dans les bras munis de buses et pivotant autour d’un axe.

L’orientation de la tourelle permettait d’arroser une largeur de terrain variable et maîtrisable.

Les maraîchers calculaient l’angle entre la voie et les bras grâce à la formule bien connue

d’où

r = longueur d’un bras

= angle du bras par rapport à la voie

l= largeur à arroser

 

Deux types de mouilleurs furent utilisés.

Le type Graff du nom du constructeur.

Ce modèle donna les meilleurs résultats en assurant un arrosage performant, une brumisation par enchevêtrement des cônes d’eau issue des buses.

Le type Tours, appelé ainsi car il était construit à Tours. Ce modèle était moins performant, car l’eau issue des buses était moins atomisée. Elle arrivait même à tasser la terre. Malgré des essais d’amélioration, ce modèle ne donna jamais réellement satisfaction.

Avantages de ces appareils

" Globalement globale " toute l’eau utilisée était distribuée au bon endroit (contrairement aux canons à eau d’aujourd’hui qui sont utilisés pour un arrosage plus industriel). Grâce aux vannes disposées sur les bras et à l’angle réglable des bras, il était possible d’arroser uniquement là, où c’était nécessaire.

Défauts de ces appareils

Pourtant, dans l’ensemble, les mouilleurs assurèrent de bons et loyaux services et ce, pendant de nombreuses années, sans compter sur le joli spectacle qu’ils offraient dans la plaine. Les nuits de pleine lune, Montesson n’avait rien à envier à Versailles à l’exception du château.

 

Répertoire des pièces constituant le mouilleur 

Numéro Dénomination Commentaires
1 châssis cornières métalliques de 50 mm
2 tourelle rotative montée sur galets ou platine fonte pour orientation des bras
3 mât point d’ancrage des haubans
4 roue en fonte f =250 mm  
5 chaîne d’accouplement arbre de 25 mm acier au silicium
6 turbine à eau munie de 5 aubes en laiton, c’est le moteur de l’engin
7 volant de démarrage destiné à lancer l’engin
8 boîte de vitesse 2 rapports plus 1 point mort, mais pas de marche arrière
visse sans fin plus une couronne
9 chaîne de traction  
10 tuyaux servant de bras d’arrosage longueur de 12 m de chaque coté de l’axe du mouilleur
11 buse d’arrosage  
12 vanne de barrage pour l’eau destinée à couvrir les surfaces à arroser
13 tendeurs de haubans  
14 haubans câble en acier

Epilogue

En écrivant cet article, j’ai été amené plusieurs fois à appuyer sur le frein de mon stylo, car je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup à raconter. Peut-être même qu’avec de l’abnégation et un patient travail de recherche, il y aurait matière à écrire un livre. Enfin au travers des témoignages recueillis, j’ai compris que c’était avant tout une histoire d’hommes avec leurs travers et leurs qualités et malgré, les envies, les jalousies, les exactions, la solidarité avait le fin mot.

En somme, un monde de fourmis laborieuses, juchées sur une toile d’araignée métallique.

Schéma d’implantation des voies

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