Le carnet du CFC

L'heureux temps des pêches ou les tribulations d'un Chef de Train
Michel Dubuis

En 1958 le réseau du Vivarais était toujours en pleine activité conservant sa quasi totalité de lignes sauf la section de la Voûte sur Loire à Yssingeaux et Raucoules-Brossette fermée en 1952.

Chemins de Fer Départementaux (Réseau du VIVARAIS). Echelle: I/I.500-000è.

1. Ligne des Chemins de fer Départementaux à voie métrique.

2. Ligne S.N.C.F.

3. Ligne S.N.C.F. en projet ou abandonnée.

4. Limite de département.

  

Ceci pour vous dire qu'à cette époque, votre serviteur, fréquentait assidûment ledit réseau pendant la période des vacances et s'était rapidement lié avec la coterie cheminote du Cheylard, point névralgique du réseau, liaison qui n'allait pas manquer de pittoresque au fil des ans pour conduire à des aventures truculentes. J'entreprends de vous en conter une ce jourd'hui.

Lorsqu'on "descendait" sur le CFD Vivarais comme on disait à l'époque il n'y avait qu'une seule adresse et la meilleure : chez LOUIS - Hôtel Restaurant du Vivarais - face la gare au Cheylard.

Notre défunt Louis, supporter acharné du CFD regroupait dans son estaminet -surtout à l'heure du pastis, tout ce qui se trouvait en gare comme mécaniciens, chauffeurs, chefs de train etc.

Chemins de fer Départementaux (Réseau du VIVARAIS).
Gare du CHEYLARD. Échelle : 1/2.000e.

Comme nous venions pour une quinzaine sur le "Mastrou" nous étions d'office inclus à la corporation ce qui sous-entendait entre autre qu'il fallait savoir "se tenir" au comptoir comme à table !

D'ailleurs pour la table l'ami Louis s’en chargeait. Il n'y avait guère de jour sans truite à la crème ou aux morilles, de volailles aux cèpes, d'écrevisses de l'Eyrieux à la provençale et de la tome de chèvre qui vous balançaient 3 kg sur les hanches en 8 jours. Evidemment le rosé de l'Ardèche était à l'avenant ce qui, somme toute, entretenait un excellent moral.

Souvent nous prenions ces repas avec l'ami de tous, Dom José, curé de St Cierge sous le Cheylard, village de 60 habitants perché à 600 m d'altitude. Ce brave curé, aimé de tous, nous entretenait de sa verve, de son esprit de terroir et de sa truculence souvent confortée par un nombre assez impressionnant de pastis. Fervent défenseur du tacot, n'hésitant pas lors de la fête de la gare au 14 juillet à bénir la 403, la 404, la 405 et le toutim..., n'hésitant pas non plus sur un appel à 2 heures du matin à emmener un malade à l’hôpital de Valence avec sa Dauphine bien fatiguée. 


Locomotive Mallet sous le portique de la centrale à la sortie du tunnel (photo MD). 

Tout ceci pour vous situer le cadre de nos ébats ferroviaires et camper nos personnages. Justement parmi ces gais lurons il y avait Régis et Olive respectivement mécanicien et chauffeur de Mallet, un gros et un maigre, le vrai cliché ! Bref, après un déjeuner en commun mes deux lascars décident de m'emmener avec eux descendre un train de pêches (de fruit pas le poisson) sur Tournon.

Nous voici donc partis vers 14h avec une Mallet et un convoi comportant une dizaine de couverts à 2 essieux chargés de cageots de pêches plus en queue avant le fourgon, un wagon plat lui aussi à 2 essieux sur lequel était posé un container à livrer à "la centrale électrique" de Mordane. La centrale de Mordane était un petit barrage sur la Sumène affluent du Doux située à quelques kilomètres avant Lamastre. Cette petite usine perdue au fond d'une gorge n’était reliée au monde que par le chemin de fer, étant inaccessible par la route, hormis par un chemin muletier. Une équipe de techniciens maintenait l'installation et l'approvisionnement des gros colis s'effectuait par un petit pont transbordeur, qui enjambait la voie, suivi d'un câble qui descendait vers l'usine placée en à-plomb de la voie. Le site était d'ailleurs fort plaisant, idyllique pour le décor ferroviaire, car peu après le portique, s'ouvrait l'entrée d'un tunnel (voir photo).

Donc arrivant à l'heure, ou presque, le convoi marque l'arrêt, afin de laisser "le plat" sous le portique. Le fourgon stationnant quasiment à la sortie du tunnel.

Le déchargement du container s'effectue sans problème, le train repart car il ne fallait pas trop traîner afin de ne pas transformer les pêches en compote. Il fait très chaud en début d'été dans cette belle vallée du Doux.

Après les arrêts réglementaires à Boucieu le Roi et St Jean de Muzols accompagné du "canon" traditionnel nous arrivons à Tournon après environ 2h15 de route, ce qui n'était pas mal pour couvrir les 53 km. Alors là, les amis, coup de théâtre ! Nous nous apercevons qu'il n'y a plus de chef de train. Un drame. Où est-il passé? Après renseignements pris (fort discrètement) en gare de Tournon, personne n'a vu le chef de train. Le mécanicien Régis engueule le chauffeur Olive, lequel lui retourne le compliment (j'ai même eu droit aux compliments). D'après Régis nous étions des cheminots de "bureaux", qu'on faisait attention à rien, qu'il était peut-être tombé du train..., glissé sous le fourgon..., écrasé sous le tunnel de Mordane, le convoi du malheur quoi !

Il fallait accepter l'évidence : nous avions perdu le chef de train. Si l'incident semblait cocasse je me souviens très bien de l'angoisse qui nous étreignait tous les trois. C'était une faute impardonnable et à coup sûr damnation.

Nous repartions pour Le Cheylard peu de temps après avec une rame de couverts vides. Le moral n'y était pas. Hors le bruit de l'échappement régulier de notre 120+020 qui remontait gaillardement les 600 m de dénivellation depuis Tournon et les coups de pelle d'Olive, aucun commentaire. Chacun étant trop, occupé, à s'en arracher les yeux à scruter les abords de la voie. Rien.

Arrivée à Lamastre (33 km de Tournon). Manoeuvre pour laisser quelques wagons. Têtes de conspirateurs. Toujours pas de chef de train. Encore 20 km d'anxiété. Remise à quai. Attente du signal de départ.

Tiens voici le chef de gare qui arrive arborant un sourire narquois :

- Alors les gars on attend plus les chefs de train
- Quoi ! dit Régis
- Ben oui dit le chef. Je viens d'avoir votre chef de train au téléphone.
- Qu'est-ce qu'il a foutu ce fada s'exclame Olive !
- C'est vous tous qui êtes fada dit le chef. A Mordane vous avez démarré sans prévenir. Lui, il est descendu pour pisser et le temps qu'il finisse et remette l’affaire en place il n’a pas pu rattraper le fourgon.
- Alors où il est passé demande Régis ?
- Il a rejoint la route par le sentier puis au P.N. de la mère... (le nom m'échappe) il lui a emprunté la mobylette pour revenir au Cheylard (environ 15 km).

OUF! Eclat de rire général. Comme gag c'est réussi.

Le comité d'accueil composé du chef de train en personne était présent à notre arrivée au terminus. Ce fut un beau concert d'invectives entre nos trois as du CFD, surtout qu'il y en avait deux qui n'avaient pas trop de motif à fournir. Mais notre homme était vivant, c'était là l'essentiel.

Pour la "tournée de 51" à 19 heures chez Louis ce fût un beau sujet de conversation où chacun ne se gênait pas d'en rajouter à sa guise.

Une histoire marseillaise en quelque sorte ! Mais sur le "Mastrou" n’était-ce déjà pas le midi ?

 

  

Photo prise durant l'été 1967. C'est une 020 Decauville en voie de 60 baptisée "Steatite" chargée sur un wagon dans l'entreprise de Travaux Publics Chefdebien S.A. à Perpignan.
Cette machine provenait de la carrière de talc de Luzenac en Ariège. C'est pour cette raison qu'elle s'appelait Stéatite (nom du minerai de talc).
A l'époque elle était à vendre en bon état apparent pour la somme de 700 FF. Ce qui représente peut-être entre 20 000 et 30 000 FF d'aujourd'hui !
La fin de cette machine (s'il y en a une) est assez bizarre. Elle est partie pour un jardin public de
Perpignan en tant que "pot de fleur" puis pour une raison inconnue elle est arrivée en dépôt chez les sapeurs pompiers de cette ville. Là, elle est demeurée assez longtemps où parait-il elle aurait été vendue à un ferrailleur ?
Dans quel état ? Qu'est-ce qui prouve que ce ferrailleur l'a détruite?
A partir de là : nuit et brouillard.

 

Le parc de Risle Vallée à côté de Conches (Eure) appartenait à M. Gaumont.
Ce sont 2 locotracteurs diesel Whitecombe qui circulaient sur un réseau de 60 assez tourmenté sur environ 2 km.
M. Gaumont était un éminent collectionneur d'appareils à vapeur (locomotives voie étroite et normale, locomobiles, moteurs à vapeur). Il possédait de même une sensationnelle collection de motos de tous âges, sans compter ce qu'il avait réuni sur la technique du cinéma.
M. Gaumont avait quitté Risle Vallée pour s'installer en plus petit aux environs des Andelys. C'est là que nous avons récupéré les 2 pompes Worthington. 


Vue prise en 1978 dans le Parc de Loisirs de "Risle Vallée" à côté de Conches (Eure).

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