Le tunnel sous la Manche. Qu’en pensait-on en 1938 ?

(Rappelons que l’actuel tunnel sous la Manche traverse en fait la Mer du Nord et non pas la Manche. En effet, les géographes s’accordent à dire que le Cap Gris Nez est la limite de partage, coté français, des deux mers avec, en regardant la Grande-Bretagne, la Manche à sa gauche et la Mer du Nord à sa droite.)

Sources TRANSPORT N° 48 Juillet Août 1938 d’après un article de M. Alex Brulé.

La Chambre des députés invite le gouvernement à poursuivre, en accord avec le gouvernement anglais, la réalisation d’un tunnel sous la Manche ". Cette proposition de résolution enregistrée sous le numéro 4607 date de 1938. A cette époque l’idée d’un tunnel sous la Manche n’était pas nouvelle puisque c’est en 1802 que remonte le premier projet de cette construction. Nous étions à l’époque des diligences. C’est en 1875 que l’Association française d’un tunnel sous-marin fût constituée et en Août une loi voté approuve la convention passé entre elle Ministre des travaux publics et cette société qui obtenait une concession ainsi libellée : " chemin de fer partant d’un point déterminé sur la ligne Boulogne à Calais pénétrant sous la mer et se dirigeant vers l’Angleterre à la rencontre d’un pareil chemin parti de la côte anglaise dans la direction du littoral français ". A cette époque les concessions de chemin de fer étaient en général de 99 ans à partir de la date de mise en exploitation. Une galerie de 2,14 m de diamètre sur une longueur de 1840 mètres scellait l’engagement de ladite société.

Coté anglais une société similaire intitulé " Channel tunnel Company " "était également constituée et fit des travaux préparatoires similaire à savoir percement de puits, sondage, etc. Malheureusement le projet de loi n’ayant pas été présenté au parlement, la concession n’a pas été obtenue. En 1930, le refus de voir se construire un tunnel entre les deux pays se confirme coté anglais.

Alors que l’insularité britannique s’accentue, les arguments pour la construction se confirme en France. " Si le tunnel est maintenant construit, il fera de la guerre une entreprise impossible dans l’occident de l’Europe". Le tunnel apparaît une contribution efficace aux mesures susceptibles d’assurer la paix en Europe. et stratégiquement en cas de guerre, il est facile de le neutraliser, par destruction ou inondation.

Economiquement les experts anglais dont M Peacock(Constructeur de locomotive Garratt) sont favorables à la construction du tunnel. Tout moyen de communication ou de transport supplémentaires ne peut que servir le développement du commerce. il faut souligner qu’à cette époque lorsque le temps était mauvais la navigation entre la France et l’Angleterre avait du mal à assurer un service régulier ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. De plus à cause de cette traversée, les marchandises impose un emballage spécial dont les frais s’ajoutent aux primes d’assurance maritime. Sans compter la perte de temps engendrée par les opérations de chargement et de déchargement. La Chambre de la Navigation avait également rendu son avis comme quoi " la navigation dans son ensemble ne saurait être affectée par la construction d’un tunnel sous la Manche ".

Du point de vue touristique, le tunnel favoriserait les échanges entre les deux pays. Les flux entre la France et l’Angleterre sont trois fois moins nombreux que ceux entre la France et la Belgique ou la Hollande. Le détroit est bien un obstacle aux mouvements de voyageurs. L’aller-retour Paris-Londres ou Londres-Paris pourrait se faire dans la journée " parti à 8 heures du matin d’une capitale, on pourrait déjeuner dans l’autre, y passer l’après-midi et revenir avant midi à son point de départ " (C’est ce que l’on fait aujourd’hui avec le TGV, mais à l’époque qu’imaginaient-ils ?).

Sur le plan technique, les sondages ont montré que le terrain est particulièrement favorable au percement d’un tunnel. La continuité d’une couche homogène de craie blanchâtre, imperméable compacte sans être trop dure pour le percement. La technologie du percement de tunnel sous les fleuves constitue un capital d’expériences préalables rassurant. Le percement d’un tunnel pilote de petit diamètre (3,65 m) est recommandé pour vérifier la nature des terrains. La longueur du tunnel ferroviaire serait de 53 km dont 33 sous la mer. Partant de Marquise, localité située à 22 km au sud de Calais sur la ligne Calais-Paris. 10 km plus loin le dénivelé est de 50 m et quitte le continent à Sangatte. Il continue à descendre jusqu’au milieu du détroit où il est à -105 m, puis remonte vers l’Angleterre avec une pente sensiblement égale. La pente est de 8 mm par mètre et le rayon minimum des courbes est de 350 m ce qui représente des conditions techniques très favorables. Au point bas (-105 m) un collecteur des eaux d’infiltration de 2,12 m de diamètre évacuerait les eaux qui seraient pompées coté France.

Le tunnel proprement dit se compose de deux galeries parallèles de 5,60 m abritant chacune une voie et reliées entre elles tous les 100 m (Ce qui n’est pas très réaliste en terme de coût.). La ventilation se ferait automatiquement par refoulement de l’air engendré par l’avancement du train dans la galerie. Cependant à l’une des bouches du tunnel deux gros ventilateurs de 300 Cv sont prévus, capables de renouveler la totalité de l’ai en trois jours. La durée des travaux prévue serait de cinq ans. En 1919 le prix était estimé à un milliard. Dix ans plus tard à 3,831 milliards (C’est précis quand on pense que certaines réalisations dépassent de sept à huit le devis.).

La traction serait électrique avec du courant fourni par deux usines situées à chaque extrémité du tunnel.

Au projet de tunnel ferroviaire est associé un demi-siècle plus tard, un projet de tunnel routier comportant deux galeries d’un diamètre de huit mètres avec voie de 6,5 m de largeur pour une hauteur utile de 4,25 m. L’entrée est située au lieu dit " La Chaussée ", près de Calais sur la RN 1. Il s’enfonce par une pente de 1,5% atteint la côte à 7 km et se trouve à -100 m, remonte jusqu’au centre du détroit à la cote -90 m et à 40 mm au dessous du niveau de la mer. Il redescend jusqu’au rivage anglais à -110 m pour remonter à l’air libre par une pente de 4% sur 2,8 km. Chacune des deux galeries est affectée à un sens de circulation avec une voie de communication tous les 100 m (comme ça, s’il y aune innodantion les deux tunnels sont sinistrés). La ventilation est assurée par quatre ventilateurs qui refoulent de l’ai frais ozonisé.

A l’heure où paraissaient ces lignes, les deux projets étaient en concurrence et le projet fer, plus avancé dans le détail, le chantier pouvait commencer. Stratégiquement le tunnel fer pouvait rendre de plus grands services que le tunnel routier. Ce ne serait certainement plus le cas aujourd’hui.

Après examen de ce rapport, la Chambre de Commerce émet le voeu que cette proposition de résolution soit voté par la chambre des député, nous étions en 1938.

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