Le carnet du CFC
Le funiculaire de Belleville
Freddy Genot
Dans le numéro 46 de
LVDC, je décrivais le Cable Car de San Francisco. A ma grande surprise, j’ai découvert, à Anvers, que ce mode de transport urbain avait été utilisé à Paris ! Voici ce que l’on pouvait lire dans l’ Illustration du 29 novembre 1890.
La voie du tramway de Belleville a été constituée en s'inspirant des derniers perfectionnements apportés aux lignes similaires de San Francisco et de Chicago. Au milieu des rails, placés à un mètre d'écartement l'un de l'autre, on a ménagé dans le sol une rainure longitudinale qui permet le passage du gripp dont chaque voiture est munie pour aller saisir le câble moteur. Ce dernier, guidé par des poulies ad hoc, est donc entièrement dissimulé sous la chaussée et l'on ne distingue sur le pavage de la rue que les deux rails du tramway et la rainure qui règne dans l'axe de la voie. Aucune saillie ne vient, par suite, gêner la circulation des voitures ordinaires.
L'une des difficultés qu'on a eu à surmonter à Belleville, a consisté dans l'établissement de la ligne à voie unique, en raison de la faible largeur des rues empruntées. Il a fallu, par suite, ménager à des intervalles déterminés les voies de garage nécessaires pour permettre le croisement des véhicules montant et descendant; d'où une complication de changement de voies, non seulement pour les rails, mais encore pour les poulies directrices des deux brins du câble. Au point de vue technique, les ingénieurs se sont tirés à leur honneur de cette difficulté; mais il n'en est pas moins vrai que cette disposition en simple voie limitera la puissance d'exploitation de la ligne, et qu'il en résultera des retards dans l'attente au croisement des véhicules de sens inverse. Les dispositions locales n'ont pas permis de donner plus de 12 mètres de longueur aux voies de garage, soit la place nécessaire à deux voitures se suivant dans le même sens. Il y a en tout cinq croisements pour une longueur totale de 2 kilomètres environ.
Les voitures sont tout à fait semblables à celles qui circulent sur les tramways-nord. Elles sont symétriques et, chacune de leurs plates-formes des leviers de commande du gripp et du frein, elles marchent indifféremment dans les deux sens, le conducteur changeant de plate-forme à chaque extrémité de la ligne pour se trouver toujours placé à l'avant. Pour les mêmes raisons qui ont obligé à établir la ligne à voie unique, et à en restreindre l'écartement, les voitures du funiculaire ont des dimensions très réduites et ne peuvent contenir que 22 voyageurs, dont 12 à l'intérieur et 5 sur chaque plate-forme. Le nombre des voitures en service sera de trois aux heures creuses de la journée et de six le reste du temps, sauf aux heures des déplacements ouvriers du matin et du soir, où l'on procèdera par convois de deux voitures, soit douze voitures en tout.
Les départs auront lieu toutes les cinq minutes; il sera impossible de les rapprocher davantage à cause des croisements. Il faudra en moyenne 15 minutes pour faire le trajet total, soit une demi-heure aller et retour, et l'on compte offrir au public 234 départs par journée de 18 heures.
Le tarif de ce tramway essentiellement populaire sera des plus réduits: 0, 0 FR dans la journée et 0,05 seulement pendant la première heure du service le matin et de 6 heures à 7 heures du soir. Pour qui connaît l'active circulation qui règne dans le faubourg du Temple, il est certain que le nombre des places offertes sera bien insuffisant surtout aux heures à cinq centimes pendant lesquelles, malgré la meilleure volonté possible, on ne pourra transporter, dans chaque sens, à raison de 12 doubles départs, que 528 voyageurs.
Malheureusement, un accident peut se produire même si les concepteurs des systèmes de transport prétendent souvent le contraire. Voici le compte rendu de celui qui se produisit en janvier 1906 rue des Pyrénées.
" Un grave accident est survenu, il y a quelques
jours, sur la ligne du funiculaire de Belleville. Une quinzaine de voyageurs avaient pris place dans le train, que conduisait le mécanicien Paul Lambert. Le receveur Emile Perrot était à son poste habituel, entre les deux voitures. Un coup de sifflet retentit. Le funiculaire se mit en marche: mais au lieu de rouler lentement, comme de coutume, il partit à une allure inquiétante. Quelques secondes après, il passait à une vitesse folle devant le dépôt, traversait comme un bolide la rue des Pyrénées et, à l'allure vertigineuse de cent vingt kilomètres à l'heure, filait au milieu d'un bruit de ferrailles et de vitres brisées, vers la place de la République.
Seuls le mécanicien et le receveur avaient gardé leur sang-froid; les voyageurs poussaient des cris déchirants. Ceux qui se trouvaient à l'intérieur des voitures se ruaient, affolés, sur leurs compagnons de route debout sur la plate-forme et ces derniers, de leur côté, faisaient de vains efforts pour ouvrir les portes auxquelles le receveur Perrot se cramponnait désespérément en criant d'une voix qui dominait le tumulte: «Ne descendez pas!... Si vous sautez, vous êtes morts!...»
Pendant ce temps, son camarade Laurent s'acharnait sur le frein à pédales, tournait et retournait les freins à patin. Aucun ne fonctionnait... Ce que voyant, les voyageurs, pris de panique, n'hésitèrent plus. Un à un, ils sautèrent sur la chaussée qui bientôt, de la rue des Pyrénées au rond-point des Quatre-Arrondissements, fut jonchée de blessés qui gémissaient lamentablement. Quelques-uns, rassemblant leurs forces, se traînèrent jusqu'aux rares débits de vin déjà ouverts; d'autres gagnaient des pharmacies où ils recevaient les premiers soins. Cependant, le tram emballé continuait sa course éperdue et débouchait sur le boulevard de la Villette où la pente se relève et, à hauteur du no 120 de la rue du Faubourg-du-Temple, où se trouve une aiguille, la voiture de tête déraillait brusquement et s'arrêtait, barrant le passage à la suivante. Une dizaine de voyageurs qui, heureusement, avaient jusque là hésité à sauter, descendirent alors. Leur émotion était telle qu'ils ne purent, tout d'abord, prononcer aucune parole; deux femmes s'évanouirent et durent être transportées dans une pharmacie de la rue Saint-Maur où des soins empressés leur firent rapidement reprendre leurs sens. Une vingtaine de personnes ont été blessées, quelques-unes grièvement, mais c'est par un hasard presque miraculeux qu'aucun voyageur n'a été
tué ".
Source : Le Petit Parisien. Supplément littéraire illustré du 28 janvier 1906)
Je crois avoir lu quelque part que cet accident mis fin à l’exploitation du « Cable Car de Belleville ».