L'Association

Champagne pour le Campagne

Vincent Timcowsky

Les plus grands événements sont toujours entourés d’une multitude de petits à-côtes dont on ne soupçonne pas l’existence. Les journées du 20eme anniversaire ont été pour moi l’occasion d’être à l’origine de l’un d’eux. Je vais vous le narrer et ainsi pouvoir à la fois rétablir une vérité historique, glorifier un de ses acteurs et enfin essayer de me disculper, tout un programme.

Tout avait commencé par une de ces réunion dont le CFC a le secret, pleine d’idées plus ou moins mûries et toujours présentées dans le plus grand vacarme, au grand dam des plus timides. Nous avions alors envisagé le baptême de la 030T06, ex machine de Michel Dubuis et cherchions qui pourrait être l’heureuse marraine ou l’heureux parrain. Après moult péripéties que je ne vous conterai pas ici, secret de fabrication oblige, nous avons reçu une réponse positive de la part du cabinet de M. Pasqua. Il fallait donc mettre les petits plats dans les grands et faire avec nos modestes moyens, les subventions tant attendues n’étant pas arrivées. Nous en étions arrivés à la conclusions qu’un baptême pourrait être organisé à la gare de la ferme d’enfants, suivi d’un rafraîchissement, le tout précédé des discours d’usage.

Le jour J tout était prêt ou presque, le support servant à suspendre la bouteille de champagne du baptême n’ayant pas encore été pensé, je laissais nos amis anglais surveiller la chauffe de la Bertha et coudais une tige en forme de potence, celle ci serait fixée sur le porte lanterne de la boîte à fumée.

Bientôt les officiels arrivaient, entourés de photographes et cinéastes professionnels et amateurs. La pression n’était plus visible uniquement sur les manomètres des chaudières mais aussi dans les cœurs des participants, les acteurs comme les a si bien nommés Marc.

Après les civilités d’usage les invités prenaient place dans le train officiel, remorqué de concert par la future Chanteraine et la Bouillote. Nous étions partis en triple traction, Alice Tabamar et Bertha quelques minutes auparavant afin d’assurer une entrée en gare triomphale à coups de sifflets et sirènes divers. L’arrivée fût en tous points comparable émotionnellement parlant à celle vécu par les spectateurs des frères Lumière. Descendant du train, M. Pasqua vint nous saluer au pied de la Bertha et se dirigea vers la gare ou avait été dressé le vin d’honneur. Je me glissais dans la foule compacte pour saisir ma part de souvenirs et fut froidement réveillé par la question de Marc « La bouteille est-elle en place ? » 

Bouteille, bouteille ce nom bizarre provoqua-en moi comme un sentiment de vide intense, n’avais-je pas tout prévu, je restais quelques instants incapable de résonner, puis j’eus tout d’un coup un flash. Bon sang mais c’est bien sûr, Géraldine Calles, notre aide au niveau municipal m’avait parlé d’une bouteille de champagne portant l’étiquette de la mairie, bouteille qu’elle devait selon mes souvenirs nous rapporter le moment venu. Je fendais la foule le cœur battant (en français le trouillomètre à zéro) et avec mon plus beau sourire lui posait innocemment la question ; Puis-je récupérer la bouteille de champagne du baptême ? Regard surpris de la part de la demoiselle qui me dit l’avoir laissé comme convenu à disposition à l’accueil de l’hôtel de ville, nouveau sentiment de vide intense et abattement, si visible qu’il sera saisi par un photographe que je ne compte plus parmi mes amis !!! M. Pasqua, M. l’adjoint au maire de Villeneuve et William Godard continuent à échanger propos aimables, souvenirs historiques et promesses diverses sous les yeux d’un public complice. Fin du premier acte.

Je ne sais pas si ça vous arrive souvent mais pour moi la vie est souvent faite de coïncidences heureuses ou malheureuses, celle qui me fit rencontrer Gaston Monnier à cet instant peut être classée parmi les premières. Gaston, donc, déambulait en parfait mondain habitué des cocktails, pinces fesses et autres soirées mondaines, à la recherche du moyen de se faire remarquer sans doute par son érudition et ses connaissances dans les domaines ferroviaires et philosophiques. Me voyant dans l’embarras et me questionnant il apprit ma méprise et me proposa aussitôt une bouteille de champagne du premier choix, conservée dans le coffre de son automobile. A ce stade du récit je tiens à faire taire les mauvaises langues qui pourraient s’étonner de la présence de cette bouteille à cet endroit. M’honorant de connaître personnellement Maître Gaston je précise qu’il a toujours, par peur de manquer sans doute ici une bouteille de calva dans son vestiaire, là une bouteille de provenance indéterminée ne servant pas uniquement à dégraisser les pièces mécaniques mais que, suivant les conseils du ministère de la santé, il n’en fait usage qu’avec une extrême modération, nous obligeant à le rappeler à l’ordre afin d’obtenir nous aussi notre part. Passé le moment de joie provoqué par ce bon samaritain je me renseignais sur le moyen d’obtenir au plus vite l’objet si convoité. Il me fut répondu qu’elle était, comme la voiture et la clef pour ouvrir celle-ci, au dépôt et qu’il suffisait de faire l’aller-retour. Un coup d’œil et d’oreille rapide vers la tribune des orateurs me fit comprendre que mes minutes étaient comptées et qu’il fallait agir à la seconde. N’écoutant que mon courage et au péril de ma santé je nommais donc Gaston coursier marathonien et lui donnais l’ordre du départ à pied pour le dépôt distant d’environ un kilomètre. Dans le même temps j’appelais le dépôt afin d’envoyer à la rencontre du malheureux un tracteur providentiel. Fin du deuxième acte.

L’attente, on s’en doute fut longue et ponctuée d’appel afin de connaître la position des intervenants, je ne savais que faire, les discours arrivant à leur terme. Je soumettais à Marc l’idée de chambouler l’ordre établi en profitant immédiatement du buffet et en remettant à plus tard le baptême, solution immédiatement adoptée à l’unanimité et qui nous fit gagner de précieux instants. Je trouvais quand même le courage de me propulser jusqu’au bar ou je dégustais le délicieux cocktail de Jacques, essayant de jauger le temps restant avant l’humiliation finale. Le doux bruit du Campagne, l’un de nos plus fidèles tracteurs me sorti de ma torpeur, Gaston Modeste Parfait le bien prénommé par ses parents arrivait tel le messie avec le saint Graal tendrement enveloppé. Je me précipitais sur le quai et saisissais l’objet de tous mes désirs, le déballant plus vite que ne l’aurait fait un enfant. M. Monnier doit être à cet instant remercié pour la largesse dont il a fait preuve, en effet la bouteille n’était pas une de ces vulgaires choses que l’on achète en supermarché et qui vous brûle l’estomac mais un grand crû cordon rouge, forcément moins nocif pour la belle robe de la 030. Fébrilement et avec l’aide d’amis compatissants je montais le support et y fixais la bouteille, imaginant le pire si elle m’échappait. Le retour de quelques journalistes sur le quai me fit comprendre que le timing avait été bien involontairement parfait. Fin du troisième acte.

Les Grands Hommes et les hommes politiques en particulier ont une aisance naturelle face à toutes sortes de situations et M. Pasqua ne dérogea pas à la règle en découvrant le système imaginé pour le baptême. Sans se démonter il se plaça à cheval entre le quai et la voie et saisit la bouteille par le goulot pour la propulser vers la traverse de tamponnement. J’interromps à nouveau ce récit pour vous faire remarquer que le destin, malicieux, quand il s’en mêle, n’a de cesse de nous faire douter de nos choix, vous allez le comprendre ici. Notre ancien ministre disais-je donc dont la poigne est à la hauteur de sa force de caractère propulsa la bouteille qui suivit une admirable trajectoire, guidée par le support et le ruban tricolore la soutenant. Le plus dure était fait me direz vous ? Et bien c’est sans compter sur ce sacré hasard qui tel le meilleur des alchimistes transforma le verre en fer et le fer en caoutchouc provocant le rebondissement de la bouteille sur la locomotive. Les seuls éclats visibles à cet instant étaient les éclats de rire nous secouant. Sans se démonter et visiblement coutumier du fait notre homme saisit à nouveau la bouteille par le goulot et s’en servi tel un gourdin pour enfin la briser, s’aspergeant allégrement au passage. Salve d’applaudissements cris de joie divers ponctuèrent ce moment historique. Fin du quatrième acte

Epilogue et morale de l’histoire : Me reviennent en mémoire les images du film « le petit baigneur » de Robert Derry avec Louis De Funes, film dans lequel Pierre Dac jouant le rôle d’un préfet devait baptiser un bateau. Lors du lâcher de bouteille celle-ci traversa la coque provocant un naufrage. Je pense que nous n’en avons pas été loin et je vous promets lors d’un prochain parrainage d’améliorer la technique.

Page precedente