Le carnet du CFC
Des Rails sous les tropiques.
Alain Calvez
La rampe à Covino.
Puisque les petits matins frileux s'annoncent par un soleil de plus en plus fainéant, je vous emmène sous les tropiques.
Nous partons à La Réunion, volcan surgi de l'Océan Indien au large de Madagascar.
La scène se passe dans les années soixante au Port des Galets, le seul endroit de l'ile où peuvent accoster les cargos et les paquebots. Il fait chaud, très chaud, autant que sur la plateforme de la Tabamar au mois d'aout...
Sur les quais grouille une multitude de dockers
portant à dos d'homme tout ce qui sort des cales des cargos, du sac de
farine (80 kg tout de même...) à la caisse énorme contenant des pièces de rechange pour les usines à canne à sucre (il
suffit de mettre une cinquantaine de dockers sous la caisse, et les deux ou trois tonnes sont vite enlevées). Car il faut dire
que le premier engin de manutention (genre Clark) destiné au port n'a fait que quelques mètres sur les quais avant de finir
à l'eau, les dockers n'appréciant pas la concurrence.
Une bonne partie de toute cette épicerie quitte les quais grâce au petit train à vapeur à voie métrique qui doit d'abord vaincre la redoutable rampe à Covino pour
accéder au reste du réseau.
Certes elle est moins longue que la rampe des Sauvages, mais quelle lutte !
Il n'y a pourtant guère plus de cinq ou six mètres de dénivelé et une petite courbe pour faire le tour de l'entrepôt à Covino qui, vous
l'avez deviné, est un gros importateur de vins, mais où on peut aussi envoyer ses enfants avec des brocs acheter du
rhum à la tirette pour sa consommation journalière dans "mon 'ti la case" (ma petite maison).
Alors, en attendant que le chargement du lourd convoi soit prêt, les chauffeurs des vaillantes petites 030 en fin de vie n'hésitent pas à faire crachouiller les soupapes pour mettre toutes les chances de leur côté. Mais voici que retentit le coup de sifflet à roulette libérateur du chef de quai !, Libérateur c'est beaucoup dire, car si le signal est aussi puissant que celui de Guy lors d'une journée Portes Ouvertes au CFC, le public est bien moins discipliné et des centaines de dockers continuent de s'affairer devant la locomotive qui n'a d'autre alternative que de siffler à son tour, et à tour de bras, larguant dans l'atmosphère des nuages de vapeur si précieusement
accumulée ; et ce qui devait arriver se produit : à mi-chemin de la rampe, la pression n'est plus suffisante et notre train fait marche arrière dans un crissement de freins
malmenés ! Le tout bien sûr sous l'oeil rigolard des dockers qui ne se privent pas de brocarder l'équipe de conduite : "guette à li ! " (Fais gaffe !)"donne à moin un peu d'air" (dégage de là !)
"Bèze à li" (traduction inutile).
Alors, après une halte salvatrice pour refaire du gaz, notre convoi repart à l'attaque, mais il n'est pas rare, les mêmes causes ayant
les mêmes effets, que le scénario se reproduise !
Enfin les dockers ayant terminé leur journée et remontant au pas de course vers leur
"mon 'ti la case" après un p'ti rhum chez la Mère Paula ou à "la bataille du rail" (célèbre bistrot du Port dont je vous causerai une autre fois...) notre 'ti train peut réserver sa vapeur pour ses cylindres et filer vers Saint-Denis via la
Possession et son célèbre "tunnel longtemps".
Alors à bientôt pour une autre histoire des "Rails sous les tropiques" ?