Le carnet du CFC

“Une voie ferrée électrifiée défigure le paysage…!”

Guy Defrance

Incidemment, lors de recherches de documentation, je suis tombé sur un article paru dans la revue trimestrielle “Riviérail” n°36 de janvier - février - mars 1982 intitulé “Morceau choisi de littérature administrative”.

Il s’agit d’un texte émanant du service de l’Urbanisme et de la Construction de la Principauté de Monaco qui est, comme chacun le sait, très soucieuse de préserver la nature et le calme de ses habitants (Grand prix de Monaco de Formule 1 dans les rues de la Principauté, bétonnage du rivage,…). Ce document officiel date de février 1968 et relate les problèmes causés par l’électrification (en 25 kv monophasé) de la ligne Marseille - Vintimille dans la traversée de la Principauté.

Nous reproduisons ce texte officiel avec les coupures effectuées par Riviérail, sans rien omettre ni ajouter à ce florilège.

(…) Je voudrais toutefois souligner que si certains paysages industriels où la technique moderne et audacieuse, tout en changeant les lois de la nature, n’est pas sans livrer à l’oeil une image féérique presque imaginaire - je citerai pour exemples les hauts fourneaux de Lorraine, les raffineries de pétrole de l’étang de Berre durant la nuit - j’estime que, par contre, notre oeil ne s’habitue pas à la laideur des installations techniques qui, systématiquement, finissent par couvrir tous les sites puisque les progrès du monde moderne les imposent.

A la vérité, nous ne faisons que les subir à regret faute de pouvoir nous y opposer, faute aussi à ces techniques d’être en mesure de s’adapter au cadre dans lequel elles s’inscrivent.

C’est du reste en fonction de ces dommages, souvent irréparables, causés aux sites et aux paysages qu’à l’initiative du Ministre Pierre SUDREAU fut créé, il y a quelques années, le Comité de Sauvegarde du Littoral Provence-Côte-d’Azur-Corse qui réunit, durant un certain temps, de très hautes personnalités venant des horizons les plus divers à l’effet de rechercher les moyens de préserver la très belle région méditerranéenne contre les méfaits des aménagements de tous ordres. (…)

(…) L’électrification de la S.N.C.F. avait été aussi dans leur préoccupation, comme elle le fut pour les pouvoirs publics français alertés par les autorités locales et une opinion publique inquiète de l’effet inesthétique que devait produire et que produit l’électrification de la ligne Marseille - Vintimille sur les sites remarquables qu’elle traverse. Alors que je le rappelais à M. R. lors de la visite du 11 janvier, il m’indiqua qu’effectivement il y eut, pour l’électrification de cette ligne, une période bien délicate et que les qualités du service rendu par la traction électrique ont seules, en fin de compte, permis de lever les hésitations et de venir à bout des opposants.

Ces commentaires paraîtront peut-être inutiles, je les crois pour ma part nécessaires pour illustrer la contrainte de la technique sur l’homme du XXème siècle.
Alors nous pouvons nous poser la question; que faire pour trouver des solutions aux problèmes de l’électrification sur le territoire monégasque ?

Nous n’avons pas caché à la S.N.C.F. que ses poteaux étaient inesthétiques - ses représentants en sont du reste conscients - mais, pour des raisons techniques tant d’installation que d’entretien et de surveillance, cette Société n’a pas jugé possible d’accepter, en quelque lieu que ce soit, des modifications au système employé.

Donc, actuellement, seule une intervention au plus haut degré de la hiérarchie de la S.N.C.F. pourrait avoir de l’intérêt pour savoir si un revêtement des poteaux serait admis, compte tenu d’une situation tout à fait particulière, ensuite il conviendrait de déterminer le revêtement possible et de juger si, en fin de compte, celui-ci ne fera pas davantage ressortir la masse des poteaux, étant précisé que le revêtement ne serait qu’imparfait puisqu’il devrait, de toute évidence, permettre de visiter toutes les parties assemblées et notamment la boulonnerie.

En dehors de cette ultime intervention, je crois que nous pourrions utilement agir sur deux points :

1) mettre un indispensable chapeau aux poteaux (verre, matière plastique durcie, etc.); il est en effet inadmissible que rien n’ait été prévu pour terminer les poteaux qui ressemblent à des échassiers sans tête. M. R., à qui j’ai posé la question, m’a répondu que la solution serait difficile, mais qu’à priori il n’y aurait probablement pas d’oppositions techniques;

2) camoufler lesdits poteaux derrière des arbres hauts, palmiers par exemple, qui, s’ils sont placés dans certaines perspectives, pourront les dissimuler quelque peu au regard.
En dehors de ces deux points, la solution radicale serait naturellement la couverture de la voie ferrée par la route en projet dont l’intérêt sur le plan de la circulation ne peut échapper à personne, mais cela est un autre problème.

A toutes fins utiles, je signale que nous avions demandé à M.R. ce qui se fait à l’étranger, en Italie par exemple; celui-ci nous a indiqué qu’après avoir employé le poteau rond, plus satisfaisant sur le plan de l’esthétique, l’Italie s’orientait délibérément vers les profils type français.

Quant à la Suisse, je me souviens, pour y avoir été de nombreuses fois, que j’ai toujours été choqué par l’accumulation dans ses plus beaux sites de l’inesthétique amalgame des installations électriques d’électrification de ses voies ferrées.

Car, et je conclurai sur ce point, c’est l’ensemble des aménagements d’une électrification qui, à mon sens, crée un véritable désastre sur l’esthétique du site - en effet, si les poteaux sont un des éléments importants, les caténaires, les bras de leur support, les isolations, ce véritable imbroglio de fils, de câbles, etc., forment bien un tout indissociable et malheureusement combien disgracieux. C’est bien là la rançon du progrès.”

Depuis cette époque, nous signalerons pour information à nos lecteurs que ladite traversée de la principauté a été entièrement mise en souterrain, y compris la gare de Monaco, et que plusieurs anciens tunnels et axes ferroviaires ont été (sûrement pour le bien-être des Monégasques) transformés en axes routiers. Il me semble que tout autre commentaire serait superflu.
        

Monaco, ses lampadaires style autoroute et ses gratte-ciel; le chemin de fer “défigure” le site ! On croit réver ! Photos Jacques Defrance.

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