Le carnet du CFC

Souvenirs ferroviaires du Kenya.
L’histoire

Freddy Genot

C’est à la conférence de Berlin de 1886 que les grandes puissances d’Europe, sous le prétexte de mettre un terme au commerce des esclaves, se partagèrent l’Afrique en sphères d’influence et de contrôle. La Grande-Bretagne se fit confier l’Afrique de l’Est.
Parmi les déclarations de bonnes intentions émises pendant la conférence, il était prévu de développer le cœur du continent par la construction de chemins de fer.
Des que les Britanniques eurent à assumer le protectorat de l’Uganda il apparut qu’une liaison ferroviaire était nécessaire entre l’Océan Indien et le lac Victoria. L’écartement d’un mètre fut retenu pour permettre l’utilisation du matériel indien.

C’est le 30 mai 1896 que les premiers rails furent posés sur l’île de Mombasa. Le premier problème de l’ingénieur en chef George Whitehouse fut de construire le pont Salisbury pour relier l’île au continent et un quai en eau profonde pour pouvoir débarquer la montagne de matériel et les 32000 travailleurs Indiens nécessaires pour mener à bien l’entreprise. La plupart de ces derniers ouvrirent un commerce au Kenya à la fin des travaux.

Un peu plus loin, la voie devait franchir l’escarpement de Mazeras, une dénivellation de 170 m sur une distance de 25 km. 

Un an après le début des travaux, le chemin de fer n’était qu’à 36 Km de Mombasa. Devant la lenteur des travaux, Ronald Preston fut chargé de la pose de la voie.
Le terrain est relativement plat après Mazeras et Preston put progresser rapidement de 160 Km. Début 1898, un pont provisoire fut lancé par J.H. Patterson sur la rivière Tsavo à 220 Km de Mombasa. Un désastre de nature imprévue retarda de nouveau la pose de la voie.

carnet02_02.jpg (10566 octets)Le corps mutilé d’un ouvrier indien fut trouvé dans une marre de sang. Le bruit couru que le coupable était un lion. Les Indiens terrifiés abandonnèrent le travail et se barricadèrent dans leurs quartiers. Pendant de nombreux mois, plusieurs lions toujours plus hardis tuèrent au moins 28 des travailleurs indiens de Preston et un nombre inconnu d’Africains. Patterson se fit chasseur, mais la construction du pont métallique dura près d’un an au lieu des 4 mois prévus. 
Les lions en maraude firent d’autres victimes.

carnet02_03.jpg (5849 octets)Un ingénieur nommé O’Hara fut dévoré dans sa tente devant sa famille aux environs de Nairobi. À Kima, à 420 Km de Mombasa, les lions réalisèrent le meurtre le plus audacieux en juin 1900 quand, pour le manger, ils sortirent le superintendant de police Charles Ryall de la couchette de sa voiture. Celle-ci est exposée au musée de Nairobi où j’ai pu la photographier.

carnet02_04.jpg (7755 octets)Début 1900, le comité chemin de fer de la Chambre des Communes constate que les travaux avancent plus rapidement mais qu’après deux ans, la moitié du chemin aurait dû être terminée et qu’un tiers seulement l’était. Le groupe d’experts envoyé trouva la solution géniale : il décida de déplacer le terminus de la ligne et ainsi de la raccourcir de 160 Km ! 

Le 24 mai 1899, la tête de ligne atteignit le pied de l’escarpement Kikuyu. C’était au Km 526. Whitehouse décida de transférer son quartier général de Mombasa à Uaso-en-Airobe  une expression Massai qui signifie « rivière d’eau froide », qui se transforma en Nairobi.

Une tâche énorme attendait à nouveau les poseurs de voies : escalader l’escarpement, descendre le mur est de la vallée du Rift, la traverser, remonter le mur ouest et redescendre vers les lacs. Whitehouse fit installer un funiculaire pour poursuivre la pose des rails au-delà des obstacles en attendant que tranchées et viaducs soient construits dans la vallée du Rift .

En janvier 1901, le chemin de fer atteignit son altitude maximale de 2550 mètres, altitude qui fut dépassée en 1925 quand la ligne fut prolongée vers l’Ouganda, traversant l’équateur et escaladant le Timbora à 2750 mètres. La vallée du Rift franchie, il ne restait que 160 Km de voie à poser pour atteindre Port Florence aujourd’hui Kisumu sur le lac Victoria. De là, une croisière de 240 Km sur un bateau à vapeur amenait les voyageurs en Ouganda.

En dépit des raids des Nandi, de pluies exceptionnelles et des fièvres, les derniers rails furent posés le 19 décembre 1901 .La « Lunatic Line » de 920 Km était achevée, au prix de 2500 vies humaines et de 5,5 millions de livres contre une estimations de 1,93 pour une ligne plus courte de 160 Km.

carnet02_05.jpg (12918 octets)Les fortes rampes soulevèrent de nombreuses difficultés de traction. Quatre sections hélicoïdales facilitaient l’ascension mais ce n’est qu’en 1926, avec les premières locomotives Beyer-Garratt que le problème fut résolu. Ces locomotives 241+142 avaient une charge de 10 tonnes par essieu ce qui leur permettait de circuler sur les rails de 25 kg/m. La mise en service des Garratt annonçait le déclin de la combustion d’eucalyptus. En 1957, on comptait 129 Garratt sur un total de 450 machines. 

Le gasoil remplaça le charbon à la fin de la guerre 39-40. Les dernières Garratt arrivèrent en 1955.Elles avaient une longueur de 31 m et une charge par essieu de 21 tonnes acceptable pour les rails de 48 kg/m qui avaient été posés sur la plupart des grandes lignes. Ces 241+142 classe 59 pouvaient remorquer des trains de 1200 tonnes de Mombasa à Nairobi.

À part quelques lignes secondaires, l’ensemble du réseau passa à la traction diesel en 1980. 
A l’origine, la compagnie s’appelait l’Uganda Railway, Kenya Uganda Railway ( KUR) à partir de 1926, et East African Railway & Harbours (EAR&H) lorsque les chemins de fer de Tanzanie eurent été incorporés au réseau. Chaque réseau repris officiellement son indépendance en 1977.

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