Le carnet du CFC

Des loisirs d'un Garnement de Montmorency de 1946 à environ 1955

Jacques Lombart - photos : le père de l'auteur et M. Plotard

Dans les Années 50, Montmorency était encore une ville paisible de province où il faisait bon vivre loin du tumulte de la capitale et de sa banlieue. 
Jacques LOMBART, Montmorencéen de souche, nous relate ses espiègleries de "garnement" au cours de cette époque et fait revivre avec émotion certaines images disparues de notre belle cité. Ledit '"ex-garnement'" insiste sur le fait qu'iI ne s'agit en aucun cas d'un exemple à suivre.
 

Le Petit Train de Montmorency
Notre propriété de se trouvait, jusqu'en 1955, au n°6 de la rue de Bellevue ; elle était bordée sur toute sa longueur par la rue de la Fontaine Saint-Paul et le fond du jardin se terminait par une sorte de terrasse entourée d'un mur parapet surplombant la voie du Petit Train. Nous escaladions facilement ce parapet, du côté rue de la Fontaine Saint-Paul, en montant ou en descendant, grâce à l'appui fourni par un gros tuyau d'écoulement des eaux qui faisait saillie à l'extérieur du mur, de manière à rejoindre facilement la voie ferrée et tous les amusements qu'elle nous procurait, en cachette de mes parents. 
C'est dire que le "Tacot" passant devant 1a "terrasse" à longueur d'années a fait partie intégrante de ma vie d'enfant et d'adolescent et que sa disparition en 1954 a été, pour moi et pour un grand nombre de Montmorencéens, ressentie tel un véritable déchirement, comme pour un vieil ami qui disparaît. 
Il m'arrive encore aujourd'hui d'en rêver et pour faire comprendre au lecteur ce sentiment qui pourrait paraître ridicule envers un vieux petit train, je pense que rien ne vaut la lecture de quelques passages d'une poésie écrite par ma tante Jacque1ine en 1943 : 

Le Petit Train, 
Qui passe au bout du jardin 
Est un jouet 
A peine mécanique, 
Une navette à voie unique. 
Sur son court trajet 
Enghien Montmorency 
Par Pointe Raquet Soisy, 
Il brimbale 
Ses deux wagons à impériale.
Il est, à Montmorency, 
Aussi notoire que les cerises, 
Il est sa gloire 
Comme sa Tour à Pise 
Ou son Palais à Venise. 
Tel un vieillard à l'automne, 
Il tousse, souffle, s'époumone; 
Il s'agrippe à la côte, halète 
Et, pour reprendre son élan, 
Parfois s'arrête. 
Je le remarque seulement 
Quand il est cassé 
Et que son trafic a cessé, 
Tant il fait partie 
De mon ambiance. 
Alors, il manque au paysage...
Il est inscrit sur chaque page 
De ma vie. 
Pour moi, son bruit 
s'est intégré dans le silence, Il ne me réveille pas la nuit...

Quand il invite 
Ma pensée au voyage 
Il me mène directement 
A mon jeune âge: 
Je me revois toute petite, 
Toute menue, 
Me haussant 
Sur la pointe des pieds 
Pour souhaiter la bienvenue 
A son passage familier. 

Oh! vais-je devenir une petite vieille 
Pareille 
A ce véhicule 
......................
A ce vieux petit train 
Enfantin. 
Mon trajet sera-t-il à ce point raccourci 
Montmorency-Enghien,Enghien-Montmorency ? 

N.B. Le trajet de ma Tante a été plus long que celui du Petit Train, lui 88 ans, elle bientôt 93 (Ce texte a été écrit en 1997). 

Entre nos tentatives d'exploration du sous-sol de Montmorency et les activités diverses plus ou moins louables liées au passage régulier du "Tacot" et de ses nombreux arrêts pour reprendre son souffle, très souvent devant notre jardin dont le sol se trouvait à hauteur des impériales, la pente commençant à cet endroit à devenir très forte, nous avions de quoi meubler sainement nos loisirs et c'est là que le mot "garnement", pour ne pas dire plus, prend toute sa signification. 
Par exemple, l'un de nos grands plaisirs était de nous allonger sur le ventre entre deux traverses de la voie sur le petit pont enjambant la rue de la Fontaine Saint-Paul (sur le pont. la sorte de fosse formée par les deux traverses et les rails était relativement profonde, mais peu large) et de laisser passer le train au-dessus de nous avec des frissons de terreur; jusqu'au jour où la locomotive qui lâchait régulièrement des braises sur la voie, s'est livrée à cette activité sur le pont, au grand dam de nos vêtements et surtout de notre peau, car nous ne pouvions guère bouger tant que le train n'était pas passé! 
La réaction de mes parents fut, si je me souviens bien, encore plus difficile à supporter, aussi avons-nous continué ce petit jeu, mais en prenant la précaution de nous recouvrir d'une plaque de tôle.
Alors que nous devions être âgés de 7 ou 8 ans, nous étions en adoration devant un mécanicien, dénommé REAUT je crois, qui, lorsque le train ralentissait en raison de la forte pente à escalader, descendait de sa machine au moment où elle passait devant la terrasse et l'accompagnait en courant à côté sur le ballast, après s'être coiffé d'un chapeau haut de forme, puis après 20 à 30 mètres de course, remontait sur sa machine !  
Autant dire que nous en bavions d'admiration. Ma grand-mère qui habitait le "Poulailler", petite maison indépendante construite vers 1920 au bas du jardin à l'emplacement d'un ancien poulailler, organisa un goûter d'enfants auquel elle convia ce fameux mécanicien REAUT, qui vint en bleu de chauffe, mais coiffé de son haut de forme. Nous étions tétanisés par l'honneur qui nous était fait et plus d'une vocation de mécanicien du Petit Train prit naissance ce jour-là.
Plus tard, sur nos 11 ou 12 ans, il nous est arrivé de nous livrer à des facéties du plus mauvais goût : par exemple, enduire les rails de savon noir liquide à l'endroit où la pente était la p1us rude, lorsque le train montait. Bien entendu, les roues de la locomotive n'ayant plus d'adhérence sur les rails patinaient et le train s'arrêtait. Le seul moyen pour qu'il puisse repartir et atteindre la gare de Montmorency était que le mécanicien ou le chauffeur verse du sable sur les rails pour que les roues retrouvent leur adhérence. 
Notre grand plaisir également était de poser des pièces de monnaie sur les rails pour que le passage des roues les transforme en une sorte de galette où apparaissaient encore des traces de gravures. Selon les pièces, le résultat obtenu était plus ou moins artistique, mais ce jeu n'était pas méchant. 
Par contre, lorsque le "Tacot" passait devant la terrasse à faible vitesse en montée, en nous cachant derrière le parapet du jardin, nous bombardions les impériales en choisissant de préférence les fenêtres ouvertes, à coups de pommes, poires. pêches ou tomates pourries. Alors que la mode féminine était de porter des chapeaux en paille tressée, ornés de divers fruits et fleurs artificiels, un dimanche, une dame, connaissant certainement mes parents, a sonné au portail et a présenté à mon père un magnifique chapeau de ce style, agrémenté d'une tomate écrasée incrustée entre les fruits artificiels, tout en lui disant ; "Docteur, votre fils vient de lancer une nouvelle mode, il est très doué, mais il me serait agréable de ne pas en faire les frais !". Cette dame était vraiment très bien élevée et fort connue à Montmorency. Mon père s'est exécuté sans broncher, mais ensuite, je n'ai plus jamais eu envie de réitérer ce genre d'exploit ! 
Les talus qui bordaient la voie ferrée étaient très pentus et profonds, surtout entre le pont de la rue de la Fontaine Saint-Paul et le passage à niveau de la rue de Pontoise. Un ruisseau recevant alors tant les eaux pluviales que les eaux usées (aujourd'hui, il ne reçoit que les eaux pluviales) coulait au bas de ce talus et se jetait, non loin de la rue de Pontoise, dans un égout qui rejoignait le lac d'Enghien bien pollué à cette époque. Nous avions appelé cette chute d'eau la "Chute de la Mort", car il y avait tout de même une dénivellation de 3 à 4 mètres que nous franchissions grâce à une corde à nœuds, afin de rejoindre l'égout principal, armés de carabines Manufrance 6mm ou 9mm pour chasser les rats qui pullulaient et coiffés des casques français ou allemands de la guerre de 14/18. 
Nous avions beau avoir une taille d'enfants, nous avions bien souvent à progresser en position courbée et l'exercice était possible, encombrés que nous étions de nos lampes, de nos casques et de nos carabines, mais c'était la grande aventure !
Nos casques... En effet, un jour sous un amoncellement de ronces et de végétations diverses, nous avions trouvé un véritable trésor : des casques de 14/18 français et allemands, quelques vieux fusils "Gras" et Lebel avec leur baïonnette, le tout, bien entendu, recouvert de rouille. Il s'agissait, sans doute, d'un montmorencéen qui s'était débarrassé de cette collection d'armes quand les Allemands avaient occupé Montmorency. 
Heureusement, il n'y avait pas de cartouches, car sinon j'ose à peine penser à ce qui serait arrivé ! Après avoir utilisé des litres d'huile de coude et de pétrole, ces armes et tout spécialement les casques ont remplacé avantageusement les jouets habituels lors de nos jeux guerriers ou de nos chasses aux rats, puis elles ont fait ultérieurement l'objet d'échanges divers où nous avons été certainement perdants. 
Néanmoins, nous avions manipulé de véritables armes, alors que les autres enfants devaient se contenter de jouets ; nous formions une caste à part. 
Voilà ! il est temps de remiser ces souvenirs qui me tiendraient éveillé encore de nombreuses nuits si je voulais les revivre tous, mais je dois reconnaître que ma fille avait raison quand, il y a quelques années, elle me disait: "Papa, de ton temps on pouvait bien s'amuser à Montmorency, tu pouvais faire tout ce que tu voulais, a1ler partout sans crainte, Grand-Mère me l'a dit. Aujourd'hui, il faut tout le temps faire attention, on organise tout à notre place, on ne sait pas quoi faire, car c'est risqué de traîner et puis c'est trop facile, on demande, on obtient, où est le plaisir ?"
Autres temps, autres mœurs, où est la vérité ? Pour moi, je la connais : m'être senti parfaitement bien dans ma peau de "garnement" de Montmorency

Le Tacot se dirigeant vers la gare de Montmorency passant devant le fond de la propriété de mes Parents en 1950 ou 51, à l'endroit où la rampe est la plus forte et où le Refoulons peine beaucoup, s'arrêtant parfois pour reprendre son souffle,
Le Tacot en gare de Montmorency à la même époque avec les voyageurs sur le quai
Le Tacot lors de son dernier voyage le 30 juin 1954. On peut d'ailleurs voir une couronne mortuaire placée au niveau de l'impériale sur le dernier Bidel.

 


Pour en savoir plus, nous recommandons la lecture du livre 
Le Refoulons chemin de fer d'Enghien à Montmorency - Rival - Edition - Valhermeil - 1989 

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