Le carnet du CFC

La relativité et la voie de 0,60 !!!

Bernard MERGER 

Quand Paul Decauville eut cette idée absolument géniale de construire un chemin de fer portable, pour sauver sa récolte, que les pluies abondantes risquaient de perdre, les charrois en traction animale ayant démontré leurs limites et leur capacité, il n’imaginait, certainement pas qu’il serait un précurseur en la matière de transport. De nos jours, tout semble tellement évident qu’un travail de remémoration de la mémoire semble nécessaire, pour la compréhension du patrimoine industriel que nous pratiquons dans nos associations. Ainsi, sur un si petit écartement, on trouve de tout, au niveau du poids des engins de traction. La 020T Scheinder, de l’AMTP, datant de 1870 ne pèse que 2,5 t à vide, les Alco Cooke de 1917, avec leur 17 t étant à l’époque les poids lourds de la traction vapeur, et que notre KDL, de 1949, accuse elle,19 t à vide !!!
Lorsqu’on voit ces machines roulant sur une voie d’un si petit écartement, on en reste admiratif. Les années passant, la traction thermique remplaça peu à peu la traction vapeur, d’une façon inexorable, exception faite sur le réseau betteravier du Pithiviers-Toury, hormis un petit locotracteur, pour les manœuvres uniquement. Fait assez rare et unique pour en faire mention. Les premiers engins suivirent le même cursus que les locomotives à vapeur, à savoir petite taille, faible puissance, et rusticité mécanique, époque obligeant. La «betterave», constructeur Campagne, développe environ 20 cvpour une masse de 1,5 t. Puis, les années passant, le «gigantisme» prit le dessus, poids et puissance augmentant proportionnellement au nombre des années qui passaient. 

Et l’on arriva à des performances surprenantes pour ce petit écartement. On peut se demander, en effet, quand on voit ces masses en mouvement, comment cela peut rouler, sans incidents, les études de faisabilité de ces temps là ne bénéficiant pas de conception assistée par ordinateur, le cerveau étant le seul outil disponible. Pour en revenir à la génération des tracteurs thermiques, à pétrole, puis à essence, pour terminer par le diesel, cette relativité se poursuit, comme quoi l’histoire n’est qu’un éternel recommencement. (cliché A. Elambert). Pour bien comprendre, l’idéal est de comparer plusieurs engins, du réseau de l’AMTP à celui du chemin fer des Chanteraines, par exemple, d’autres réseaux possédant eux aussi des tracteurs identiques, ou très voisins. A l’AMTP, le plus gros est notre «Gmeinder», datant de la seconde guerre mondiale, type HF130. Ce locotracteur est entraîné par une transmission hydraulique Voith L22K, possède trois essieux couplés par bielles, rappelant en cela le principe des locomotives à vapeur, début d’une évolution technique. Sa charge par essieu est très faible, de l’ordre de 5 T, mais elle peut être augmentée par des gueuses que l’on fixe sur le châssis. Après remotorisation, son moteur actuel est un Deutz, de 148 cv, 6 cylindres en ligne et il est refroidi par air.
L’inverseur de marche et sa transmission hydraulique sont installés sous la cabine de conduite et attaquent un faux essieu relié aux bielles par un faux essieu. Il atteint une vitesse de croisière de 25 Km/h, et pèse 16,5 t en ordre de marche. La capacité de traction, avec son ancienne motorisation, était de 140 t en rampe de 10‰, et ce à une vitesse d’environ 8 Km/h. Sans rentrer dans des critères d’esthétique outrancière, il faut quand même reconnaître que sa ligne dégage autre chose que du lourd ou du taillé à coup de hache, d’autant qu’il n’avait pas été conçu pour de tels critères. Son poste de conduite est lui aussi d’une rationalité assez déconcertante sur un tel engin, car le mécanicien a tout sous la main : inverseur de marche, commande du ralenti (cliché B. Merger) des vitesses par un grand volant, frein à air direct et frein d’immobilisation, ainsi que tous les systèmes électriques, éclairage des phares, compteurs divers nécessaires au bon fonctionnement de ce locotracteur, que je trouve, personnellement, très agréable à conduire, malgré sa lourdeur apparente, mais qui cache une certaine douceur ; enfin, c’est juste mon avis…Par rapport à d’autres catégories de tracteurs diesel, même de conception et de construction relativement récente, cet agencement intérieur fait moins «fouillis».
La grande différence, disons mécanique, par rapport aux engins à boîte de vitesse mécanique, c’est l’absence d’à coup, procurée par cette transmission hydraulique, et qui fait ressentir lors du passage de la vitesse suivante, toute la puissance délivrée par son moteur, un peu comme s'il n’attendait que cela pour pouvoir donner tout ce qu’il a sous son long capot !!! Il a une autre particularité, due à la transition de la vapeur au moteur thermique, à savoir le graissage des boîtes d’essieux (cliché B. Merger). Enfin, sa cabine de conduite est spacieuse et n’engendre pas la claustrophobie, loin s’en faut. D’aucuns le trouveront bruyant, mais sans doute n’ont-ils jamais mis les pieds sur d’autres locotracteurs, quelque fois plus petits, mais qui ne sont pas des modèles de silence. 

La comparaison avec la cabine de conduite du Plymouth N°10 du CFC est assez explicite sur ce que je viens d’écrire concernant notre Gmeinder. Et pourtant, ces engins ont été importés en France au titre du plan Marshall, et sont de construction voisine dans le temps, car datant de 1946…
La transmission se fait par chaînes, et ils possèdent une boîte de trois vitesses, animée par un moteur Deutz d’une puissance de 120 cv, pour un poids de 8 t en ordre de marche, l’entraînant à une vitesse que l’on peut estimer de 25 Km/h environ. Comme quoi la conception de ces engins était différente selon l’origine des constructeurs, alors que le but recherché était le même ! (cliché B. Merger).
Sans avoir voulu détailler la saga de ces locotracteurs à moteur thermique de façon exhaustive, il me semble qu’il était bon de se remémorer, ou d’apprendre, que ce que nos visiteurs voient circuler sur nos réseaux sont autre chose que des «jouets» traînant leur train touristique !
Il est bon, de temps en temps, de ne pas laisser sa mémoire s’endormir, et de remercier ceux qui, outre l’assouvissement d’une passion personnelle, oeuvrent, dans l’ombre, et sans compter les heures passées dans un dépôt, à perpétuer un souvenir d’un passé, certes industriel, mais qui est réel.

Contact : C F T de Pithiviers Rue Carnot
45300 PITHIVIERS
Tél : 02 38 30 50 02
E-mail : amtp45@wanadoo.fr
Internet : www.amtp.fr.st

Page precedente