Le carnet du CFC

 La Blanc-Misseron 3-5 - C F de PITHIVIERS (Loiret)

Texte Bernard Merger, photos Alain Elambert

Malheureusement, faute de bras pour terminer ma remise en état, comme d’ «hab !», et alors que je viens d’être retubée entièrement, j’ai brillé par mon absence lors des festivités du 40ème anniversaire du Musée des Transports de Pithiviers. Preuve, le timbre apposé : bonne pour une dizaine d’année à pouvoir rouler en toute sécurité. Pensez donc que je roule depuis 104 ans ! 
Je me ramasse une année de plus dans les bielles, certes, mais le jeu en valait la chandelle, car j’arbore une nouvelle livrée, beau cadeau de Noël par avance, il faut le reconnaître. Surtout cela va me changer du vert traditionnel, couleur appliquée depuis des décennies sur les machines ; en effet, pendant un certain temps, tout était vert, sauf les agents. Ils ont eu de la chance d’échapper à ce traitement, évitant de faire concurrence à d’autres petits bonhommes d’une autre couleur ! Je reconnais que les personnes qui ont eu cette idée ont fait fort, et, ma foi, cela me sied assez bien. Le choix de ma nouvelle robe fut plutôt laborieux, et un premier essai fut un «flop». Que voulez-vous, la perfection n’étant pas de ce monde, autant couper court tout de suite aux «yaka, faudréque» et j’en passe des vertes et des pas mûres ! Le changement n’a jamais fait de mal et briser la routine a du bon ; enfin, c’est juste mon avis ! J’attends de bielle ferme les détracteurs éventuels, car les goûts et les couleurs ne se discutent pas, surtout quand c’est pour mettre en valeur le patrimoine ferroviaire, ok ? Et puis, des paroles ne font guère avancer le boulot, mais ce sont des bras motivés par la passion que l’on attend dans toute association, toujours en quête de renforts. Ceci étant dit, c’est moi, celle que l’on appelle l’aïeule, car née en 1902, ce qui fait un sacré bail, ou encore «la Bretonne», vu mon nom de baptême. Je suis la machine qui, outre mon grand âge, possède l’histoire la plus originale de tout le matériel de traction en état de fonctionnement conservé au musée, et qui suis de plus, classée «Monument Historique», et de plus unique survivante fonctionnelle de cette série de locomotives. Je fus construite par les Ateliers du Nord de la France à Blanc-Misseron, par les Ets Crespin, et porte le n° 282 de ce constructeur.
Je dois mon existence au succès de la firme Decauville lors de l’exposition universelle de 1889, à Paris, ce qui amena les militaires à lever leur interdiction d’utiliser un tel écartement pour établir des voies ferrées. Comme quoi le fait d’exister ne tient à pas grand-chose, souvent.
À cette époque, la mode des bains de mer provoqua la construction de stations balnéaires, qu’il fallu bien desservir par tramway, l’automobile n’existant pas encore. Heureuse époque ! Un réseau métrique relia en 1888 St Malo à St Servan et Paramé, commune qui se développa rapidement. Tout le long d’une digue d’environ 3 Km, nouvellement construite, les villas poussèrent comme des champignons, ce qui amena les propriétaires de cette zone à entreprendre, de leur propre initiative, la construction, en 1895, d’un tramway, en correspondance avec l’autre tramway. Seulement par souci d’économie, ils décidèrent d’utiliser l’écartement de voie de 0,60 m, au lieu du métrique. Le profil était quand même assez accidenté et les premières machines, des 020T, ne furent pas très adaptées pour la traction des convois. Il fallu donc faire appel à des machines plus puissantes pour résoudre ce problème d’exploitation.

Deux photos de la "Grand-mère" du Chemin de fer de Pithiviers dans une magnifique livrée bleue.
Photos Alain Elambert transmises par Bernard Merger.

Je suis donc une locomotive construite spécialement pour la fonction de tramway, à savoir démarrages fréquents, arrêts nombreux, et j’ai donc hérité, vu la région où je fus utilisée, du nom bretonnant de «Le Minihic». La faculté de pouvoir m’affranchir de ces contraintes se ressent d’ailleurs tant au niveau de la chauffe que de la conduite. Je «gaze» bien, tiens on ne peut mieux la pression et mes démarrages sont vigoureux, même avec les «Valenciennes», voitures assez lourdes ; quant au service en ligne, c’est un régal, pour les équipes, surtout cabine en avant, l’été ; climatisation naturelle, en sorte ! Lorsqu’il pleut, là c’est une autre affaire, mais ce n’arrive pas tous les jours, en Beauce, tout de même, hein, faut pas exagérer. Mon régal, suivant le mécano, c’est de gravir la rampe de «Boucheny», régulateur bien ouvert ; çà ramone les conduits, mouchette les vêtements blancs des imprudents (tes) sur la plateforme de la première voiture, mais surtout, cela donne un claquement sec d’échappement digne des machines à voie normale. Une particularité, par contre, à maîtriser chez moi, c’est le graisseur à condensation, grand âge oblige, mais à l’époque, c’était quand même le «top» technologique, quoiqu’on en pense... 
Le tramway de Rothéneuf ne circulant qu’en été, les comptes ne purent jamais être équilibrés, on s’en serait douté, ce qui provoqua la faillite de cette compagnie, en 1914, suivie bien évidemment de la fermeture de la ligne. A cette date, l’armée était plus qu’intéressée par cet écartement, notamment pour la desserte des forts du front de l’Est, d’autant que les camions étaient balbutiants, le pneu poids lourd commençait juste à exister, et les routes, quand à elles, loin d’être goudronnées, avaient une fâcheuse tendance à se transformer en bourbier à la moindre pluie, ce qui n’arrangeait pas la stratégie militaire. Durant cette guerre, le 15ème Régiment du Génie, particulièrement affecté à l’approvisionnement de l’artillerie, se prit d’intérêt pour ce réseau des bains de mer, et tout le matériel, inutilisé, fut purement et simplement réquisitionné, et envoyé sur le front. Je fis donc partie des mobilisés, vétérante de 14-18. De ce fait, c’est comme ancienne combattante que la maison Couthon, spécialisée dans la vente de matériel ferroviaire, me récupéra. En 1924, avec mon poids à vide de 10,5 tonnes, je me retrouve donc en location sur le réseau du TPT, où je fus acquise en 1926, étant échangée contre une 021 T Decauville, guère adaptée pour le travail ardu demandé. Je possède un dôme vapeur curieux en forme de coquille d’œuf, style «caliméro», vous savez le petit poussin noir du dessin animé qui dit "tout çà c’est trop injuste " Ma sablière a un fonctionnement manuel. Je ne suis pas dotée, chose curieuse, d’un sifflet, mais comme la KDL 4-12, d’une sirène, donnant un son grave, légèrement rauque et d’une seule note.
J’ai perdu mes couvre-mouvements, comme en possédaient les machines à vapeur du type tramway de cette époque, ce qui est quand même plus pratique pour l’entretien et le graissage, avouons le, mais à l’époque ces accessoires avaient leur utilité. Mais, avouons le, cela met quand même en valeur mon embiellage ! 
En 1982, j’ai reçu une chaudière neuve, ce qui n’était pas un luxe, et mon classement comme «Monument Historique» intervint le 23 juillet 1992. Donation du département du Loiret, j’ai d’abord participé au démantèlement du réseau sucrier ; bien triste besogne, que de déferrer un réseau ! 

Peu après cet épisode lamentable, j’assure le train inaugural du Musée en 1966, mais beaucoup moins pimpante qu’aujourd’hui, je le reconnais, la fermeture annoncée du réseau ayant relégué aux oubliettes l’entretien du parc de traction.
En plus, le TPT se souciait peu de l’aspect extérieur de ses machines, les concours d’élégance n’étant pas le souci primordial de l’exploitant, seule comptait l’efficacité des locomotives dans le boulot qui leur était demandé. Outre mes particularités de construction, je suis une excellente machine, à tout point de vue, et j’assure un service de qualité, malgré mon grand âge ! Il ne reste qu’à me souhaiter, après ce retubage et retimbrage, une nouvelle et aussi longue carrière que celle que j’ai eue jusqu’à présent, et ce pour le plus grand des plaisirs des visiteurs. 
Comme écrivait Marcel Pagnol, «…des gens de mon âge voient avec inquiétude leurs souvenir d’enfance tomber dans le musée de l’histoire ! Nous ne verrons plus au loin dans la campagne, ces longs trains noirs sous un panache de blanche fumée : nous n’entendrons plus, dans les gares, battre le coeur d’acier du monstre à vapeur, non plus ce chauffeur athlétique ni ce mécanicien pensif, graissé lui-même comme un presse étoupe, se promener sa burette à la main… » 
Rassurez vous Monsieur Pagnol, grâce à une poignée de bénévoles, peu nombreux, certes, vos craintes ne sont pas encore sur le point de devenir réalité, mais !
Passer en GRG, est assez impressionnant, tout comme le boulot que représente le démontage total de toute la partie tôlerie, entre autre, pour être présentée au représentant de l’organisme de contrôle, de plus en plus pointilleux, et pour qui le moindre écart est l’occasion de se défouler. Il faut être sûr de ce qu’on fait, car l’enjeu est de taille : ni plus ni moins qu’un engin de traction correct et sûr à l’effectif, et ce au vu des sommes engagées ! Quand au travail effectué, comme d’habitude, hélas, par toujours les mêmes et trop rares personnes, qui se comptent péniblement sur les doigts d’une main, il mérite bien le «satisfecit» d’un agrément décennal. Encore merci à ceux qui oeuvrent au dépôt pour que nous puissions continuer à rouler. Vous avez des connaissances, vous voulez exprimer votre passion pour la chose ferroviaire, on vous attend ; vous serez toujours les bienvenus, et partagerez avec nous ce plaisir. Pour vous donner une idée, voilà ce que donne le travail préliminaire à la préparation du retubage. Les travaux sont assez longs, comme le remontage de l’ensemble, et enfin la finalisation de l’ensemble, avant la mise en peinture. En règle générale, à l’AMTP, c’est une main féminine qui tire les traits qui parcourent la machine ; cela s’appelle, chez les humains, du «maquillage»… Peu importe l’appellation, le résultat est toujours le même : plus qu’impeccable, ce qui donne assez souvent aux visiteurs l’impression que l’on sort de chez le constructeur, et d’ailleurs il n’y a qu’à voir les équipes de traction préparer leur machine pour se dire que la passion du beau l’emporte sur tout. Mais quand on aime, rien ne rebute les bonnes volontés, non, et il y a autre chose que la télé ou les parcs d’attraction à thème, pour vivre autrement ! Allez, en attendant de tractionner votre train, venez voir comment c’est sympa sur le réseau de l’AMTP, surtout avec une aussi jolie machine en tête de votre train.

Contact : C F T de Pithiviers Rue Carnot
45300 PITHIVIERS
Tél : 02 38 30 50 02
E-mail : amtp45@wanadoo.fr
Internet : www.amtp.fr.st

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