Le carnet du CFC

Les «Gmeinder» C F T de PITHIVIERS (Loiret)

Bernard MERGER

Le T 11
Voilà un engin, datant de la seconde guerre mondiale, pour le moins original. Ce locotracteur est à 3 essieux, couplés par bielles, entraînés par une transmission hydraulique VOITH L 22 K, située sous la cabine, tout comme l’inverseur de marche. Sa faible charge par essieu, de 5 tonnes, peut être augmentée à la demande par des gueuses fixées sur le châssis. Ce gros diesel, HF 130 de la Wehrmacht, fut construit en 341 exemplaires et fut aussi le modèle le plus répandu de toutes les fabrications militaires à motorisation diesel des OHK, ou OberKomamando des Heeres, administration militaire des chemins de fer de l’époque. Des prototypes furent présentés par les établissements Schwartzkopff et Orenstein&Koppel, en 1937, mais la guerre approchant, leurs caractéristiques ne furent divulguées qu’en 1940. Son châssis venait de fonderie et pouvait être adapté aux écartements allant de la voie de 0,60 jusqu’à 1,435 m, ce dernier écartement ne favorisant guère l’élégance de l’engin !! Sa motorisation était un gros diesel Kaelble de 130 CV, 6 cylindres en ligne, refroidi par air, et tournant à 1 500 tours minute. Sa vitesse était d’environ 20 Km/h, pour un poids, en ordre de marche, de 16,5T. Avec la KDL 4-12, qui pèse 23T en ordre de marche, il fait partie des poids lourds du parc de traction du musée. En 1990, son moteur, d’origine, fut changé et remplacé par un moteur Deutz de 140 CV, toujours à 6 cylindres en ligne, et toujours à refroidissement par air ; 46 ans avec le même moteur, çà fait un sacré bail ! C’était du solide quand même, ce matériel de guerre ! De 1939 à 1958, ces locotracteurs furent construits par six firmes, qui se partagèrent le marché, à savoir BAMG, Deutz, Gmeinder, Jung, Orenstein&Koppel et Windhoff, mais c’est la firme Gmeinder qui gagna le gros lot avec la fourniture de 137 engins, rien que çà !!! 
Notre T 11 portant le numéro de constructeur 4226 fut construit en 1944, et possède, pour ceux qui ont un œil perçant et inquisiteur, sur une des plaques du constructeur fixée sur une des joues de la cabine, un minuscule poinçon représentant deux «manivelles» se croisant, signe d’une catégorie de pseudo militaires spéciaux de cette seconde guerre mondiale !!! La différence entre ce cliché et la photo de celle du T11 actuel montre bien que quelque soit l’angle de prise de vue, et à part la livrée, on pourrait croire avoir affaire au même engin. Ses capacités de traction sont à l’image de ce pourquoi il a été conçu, soit, par exemple, 140 tonnes, à une vitesse de 8 Km/h, et ce en rampe de 10 ‰, ce qui est assez remarquable. La manufacture de Saint-Gobain acheta aux Domaines, en 1945, quatre locotracteurs, comme beaucoup d’autres industries, car elle possédait une filiale qui exploitait une carrière de sable blanc à Villiers, dans l’Oise. Un réseau en voie de 0,60m et de 5 Km de longueur reliait cette carrière à Moru sur Oise, où la silice était chargée dans des péniches par gravité, au moyen d’une estacade. La construction de l’A1 entraînant de tels terrassements que le réseau fut coupé en plusieurs endroits, et les emprises, ainsi morcelées, en particulier sur le site de «Roberval», ne servirent plus à rien en l’état où elles se trouvaient. Le réseau fut donc supprimé, comme partout où l’auto était encore et toujours reine !!! Le musée de l’AMTP acheta ce diesel en 1966 l’immatricula T 11, et le mit en service dès son arrivée, car il était opérationnel, sans grands travaux de remise aux normes. Une fois de plus, on se rend compte de la solidité des engins de guerre, qu’ils soient à vapeur ou à moteur thermique, malgré une rusticité qui n’en a que l’apparence. Durant l’époque des moissons, il assure la traction des trains voyageurs, car il ne fait courir aucun risque aux moisons, absence d’étincelles et d’escarbilles dangereuses. En outre sa grande puissance le désigne également pour les trains de travaux, quand il ne sert pas de «dépanneuse» lors de détresses en ligne du vapeur régulier, rapatriant la machine et la rame complète à Pithiviers. Son apparence trapue donne une fausse idée de la conduite que l’on apparenterait plus à un «marchandise» qu’à une utilisation sur un réseau touristique. Et pourtant, croyez-moi, il est d’une souplesse inimaginable, le tout est de bien le maîtriser. Au départ de la gare, la rampe est assez raide ; une fois la rame décollée en douceur, il suffit de se laisser pousser par celle-ci. Et on freine comment me direz vous ? Non pas au frein à air direct, mais au frein d’immobilisation, tout doucement, manœuvre facilité par la commande située sur le pupitre du tableau de conduite. Un régal pour les voyageurs qui ne sont pas secoués à «tire larigot», d’autant que les siéges des voitures sont rembourrés avec des noyaux de pêches, comme les 3ème classe du grand chemin de fer. Après les PN, à l’amorce de la rampe de «Boucheny», une fois le croisement unique en France voie normale voie de 0,60m passé, le passage de la deuxième vitesse se fait tellement en douceur, que lorsque l’on est en voiture, ce n’est que la vitesse augmentant qui nous indique que le Gmeinder se lâche. Croyez moi, on n’a pas les oreilles cassées par le bruit ; c’est un ronronnement de diesel de ligne, et çà, c’est ferroviaire aussi, au même titre que le bruit d’une locomotive à vapeur ! Si on le connaît bien et que l’on sait bien le piloter, il est aussi facile à conduire en marche arrière qu’en marche avant. Pour les attelages, lorsque c’est côté cabine, pas de problème, vu la verticalité qui permet de surveiller la tulipe. Par contre, capot en avant, et vu sa grande longueur, l’attelage à tampons jointifs, sans heurts avec la rame, demande une dextérité certaine. Sa consommation de mazout léger est elle aussi surprenante de par sa sobriété eu égard à sa puissance. Il présente aussi une particularité, son klaxon deux tons, très très puissant, et modulable ; pour ceux qui ont connu les autorails de 600 Cv, Aciéries du Nord, qui avaient l’avant en forme de moue boudeuse, sur ce qui était l’ancien réseau du Nord, cela donne exactement la même sonorité extrêmement agréable à l’oreille, et qui s’entend de fort loin, pour signaler sa présence. Pas question de dire que l’on ne l’a pas entendu, à moins d’être de mauvaise foi et avoir les «portugaises bigrement ensablées !». Par contre, en ville, il n’est pas question de l’utiliser, quiétude et respect des riverains obligent ; aussi il est doté d’un «klaxon urbain», qui ressemble, lui, plutôt à un sifflet mono ton de locomotive à vapeur ! C’est étonnant ce panachage d’avertisseurs sur un tel engin. Petits détails, mais qui font sa diversité parmi des engins de traction un peu similaires, le petit plus, en somme ! Autre particularité, c’est le côté «carré» de l’agencement de la cabine de conduite ; on voit bien que c’est du militaire qui prévaut. Par rapport aux Coferna, Comessa, Plymouth, Ruston et j’en passe, un pupitre sur lequel tout est regroupé, pratiquement. Pas de levier d’inversion de marche ici, pas de pédale d’embrayage là, pas d’accélérateur à main ailleurs, bref cela ne fait pas «fouillis» !!! Une chose est sûre, si vous venez sur le réseau, à la période des moissons, et si le mécanicien l’a bien en mains, l’étonnement de tant de douceur, venant d’un si gros diesel datant de la 2ème Guerre vous surprendra plus qu’agréablement, soyez en sûrs, ne serait ce que dans le passage de la vitesse supérieure. Ce genre d’engin est, comme certaines machines à vapeur, agréable ou détesté suivant le mécanicien.

Le T 15

Ce locotracteur, plus récent que le T 11, de par sa conception, fut étudié durant l’automne 1938, et reçu l’agrément de l’administration allemande en janvier 1939, Comme quoi les besoins en matériel de traction devenant plus pressants, les délais d’étude raccourcissaient, eux ! A sa sortie d’usine, cette série était équipée d’un moteur diesel à 4 cylindres, de marque Deutz, Kaelble, Orenstein&Koppel ou Jung, d’une puissance de 55 CV, tournant à 1 000 tours minute, refroidissement par air.
Sa disposition d’essieux est 020, sa boîte de vitesse est, elle, mécanique, et la transmission du moteur aux essieux se fait par chaînes, et non plus par bielles, progrès technique, favorisé, il faut le souligner, par une puissance nettement inférieurs en comparaison avec le T 11. Son poids est, lui aussi, moins élevé, pesant «seulement» 8 tonnes en ordre de marche ! Comme le grand, il fut re-motorisé, lui aussi, et hérita d’un moteur Renault ; Bof, du vraiment banal dans la motorisation ! Sa puissance au crochet est quant à elle de 2 300 Kg, mais sa capacité de remorquage en rampe de 10 ‰ n’est que de 107 t, à seulement 5 Km/h ; Il y eut deux cent exemplaires construits durant ce 2nd conflit mondial. Sa souplesse n’a rien de comparable avec le T 11 ; elle ressemble plus à un engin agricole qu’à autre chose ! Son surnom est «Floralies», car lors de son achat par le musée, il tournait sur le réseau du parc floral de la Source, à Orléans, et arborait une carrosserie style Far West, d’un goût plus que douteux : il y en a qui aiment et s’en contentent, et d’autres, non. Il fut donc re-carrossé dans les ateliers du réseau, dans une version qui s’apparente à s’y tromper aux Y8100 de la SNCF, y compris jusqu’à la livrée et au klaxon deux tons. On croirait que c’en est un de la grande maison qui a rétrécit au lavage. Les goûts et les couleurs ne se discutant pas, on aime ou on n’aime pas ! Faut faire avec. Quand au silence dans la cabine, c’est loin d’être une ambiance 
feutrée de salon. On s’y habitue, mais après une journée de traction avec cet engin, il vaut mieux augmenter le volume auditif de son sono phone !!! Pour ce qui est des trains lourds, ce n’est pas un reproche, mais il est un peu juste, vu la puissance sous le capot moteur. Un train de composition moyenne fait très bien son affaire, ou alors, un train de travaux. Ce «petit» engin n’a pas été différent du T11 au niveau des avaries ; en effet, le samedi 4 juin 2001, il fut victime d’une panne complète de transmission. La cause fut un «désemparement» de l’arbre d’entrée de la boîte de vitesse, mécanique et à 3 rapports. Cela a nécessité le démontage du capot, de la sablière, des réservoirs d’air et du silencieux d’échappement. Rien que çà ! Petit, oui, mais alors quand çà tombe en panne, cela embête son monde comme plus grand que lui !!! Ce fut une année dont les mécaniciens se souviendront longtemps. Pour en revenir à sa conduite, elle n’est pas des plus souples, et par manque de formation dispensée aux candidats mécaniciens, il en ressort que ses sorties en ligne sont plus que rares, mais tout s’apprend, non ? Le tout est d’avoir un formateur sous la main, et çà, c’est une autre histoire, comme partout ailleurs ! Et puis, comme d’ «hab. !», il faut sortir du dépôt le gros T11, la «Betterave», pour lui laisser la voie libre, alors, tant qu’à faire, puisque le gros Gmeinder est déjà dehors, autant l’utiliser, à outrance et à tort, alors que le petit suffirait amplement. Question de paresse, de manque de rangement fonctionnel dans les nefs du dépôt, mauvaises habitudes prises, allez savoir !
Pour terminer ce tour d’horizon du matériel thermique, je pense que, malgré son âge certain, le «gros» Gmeinder est plus racé que le «Floralies», tout étant relatif dans le style de carrosserie ; enfin, c’est juste mon avis, les goûts et les couleurs ne se discutant pas !
De toute façon, pour en savoir et en voir plus, venez passer un dimanche, ou un jour férié, au grand air. D’abord, un bon bol d’air pur n’a jamais fait de mal à personne, et pique-niquer à Bellébat, croyez-moi, çà vaut le déplacement. À bientôt sur le réseau. 

Contact : C F T de Pithiviers Rue Carnot
45300 PITHIVIERS
Tél : 02 38 30 50 02
E-mail : amtp45@wanadoo.fr
Internet : www.amtp.fr.st

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