Le carnet du CFC

BÉTHUNE, un dépôt, une passion. 

Bernard MERGER

Chacun d’entre nous a une passion, plus ou moins avouée, et il faut bien qu’elle naisse quelque part. La mienne, pour les trains, naquit sur l’ancienne passerelle en fer et fonte, qui, surplombant les voies principales et le faisceau de triage, reliait la ville à la «cité des cheminots». Le jeudi, pas d’école ! aussi, en fin d’après midi, muni de mon sac avec le goûter, j’allais voir les trains, sur cette passerelle. J’avais le temps de m’installer au-dessus de la voie Dunkerque - Paris, avant que n’arrive en gare un express, tracté par une 230 D, une presque Pacific, laide dans sa livrée vert SNCF, avec sa cabine des plus inconfortable et son tender avec sa trémie, qui ne risquait pas de rivaliser avec ceux racés des 231 Chapelon.
Elle stoppait toujours la cheminée sous la passerelle…Le temps aux voyageurs de descendre ou de monter dans les voitures express métalliques, héritées de la compagnie du Nord, permettre au chauffeur de regarnir son feu, de faire un complément d’eau, alors que le «petit cheval» compressait l’air d’une façon régulière. Coup de sifflet, et le convoi repartait. En rentrant à la maison, rien qu’à l’odeur, on pouvait savoir d’où je venais !!! Et puis, la curiosité aidant, je me déplaçais vers le dépôt. Rotonde immense. La desserte des voies sous rotonde se faisait par une très grande plaque tournante puisqu’une 150 P n’avait aucun problème pour s’y positionner, c’est vous dire. A l’époque, ce dépôt était un des plus grands du Nord !
C’est ainsi que je commençais mes découvertes ferroviaires, avec, en premier, quelque chose dont je me souviens encore, avec tristesse, savoir ce que l’on appelle le «tas», autrement dit l’antichambre de la mort sous les flammes des chalumeaux, pour des locomotives et tenders entièrement rouillés, très anciennes vu leur disposition d’essieux, attendant la sentence sur 4 voies, devant un bâtiment en béton dans lequel tout ce qui pouvait être récupéré était stocké !!! Un peu en retrait, il y avait la «cantine» des tenders, immense trémie à charbon, sous laquelle stationnait presque toujours un engin de traction, de nuit comme de jour, soit en coupure, soit pour faire la pause nocturne sous la rotonde. À la sortie du dépôt, les locomotives s’arrêtaient sur une imposante fosse en béton, et les chauffeurs pratiquaient la fameuse extraction, après le traitement de l’eau par le non moins célèbre TIA, avant de quitter l’emprise du dépôt, dans un chuintement bien graissé, pour une destination inconnue. Etait-ce une survivance de l’ancien réseau, toujours était-il que ces machines quittaient ce dépôt dans un état de propreté vu nulle part ailleurs !!!

Cette vue aérienne rend bien compte de l’importance de ce dépôt. Détruit à 90% en 1944, suite aux bombardements alliés, il vit ses installations agrandies, afin de faire face à l’afflux de locomotives lourdes. Il fut équipé d’une rotonde type P, de 40 voies abritées. Des machines de configuration d’essieux 150 B et P, 151TQ, 040 D, 151 TA, 050 TE, 040 TG et bien d’autres s’y retrouvèrent abritées. Sa fermeture intervint vers la fin des années 1960. Les trains de travaux avaient déroulé les caténaires 25 kV y compris sur le faisceau de triage, les diesels de manœuvre occupant le terrain des dernières 030 T et 040 T qui s’activaient à la formation de nouveaux trains, attendant les coupes des convois reçus au pied de la butte voisine du poste 1. L’ancienne passerelle a disparu, et pour ceux qui ont connu cette époque, il plane sur cette zone comme une impression d’inertie ferroviaire, et aussi un silence qui rompt avec celui d’antan : plus de sifflets des locos de manœuvre, plus de bruits des tampons lors des formations de nouvelles rames ; bref un étrange sentiment. La rotonde fut préservée grâce à sa transformation en centre commercial, et de façon assez bien réussie, les commerces ayant repris en cercle l’emplacement de remisage des machines !! La plaque, la trémie à charbon, la fosse d’extraction, le tas des machines vouées aux chalumeaux et les voies d’accès ont disparus, certes, mais il reste cet impressionnant témoin de ce que fut un grand dépôt vapeur de l’ancienne compagnie ferroviaire du Nord !!! 
Il n’y a jamais eu dans ce dépôt de diesels, les seuls étant des autorails ABJ et Aciéries du Nord, qui marquaient leur terminus, sur les voies «voyageurs», devant la gare. De même, aucune 141 R ne séjourna à Béthune, le dépôt de Calais les abritant, ainsi que les 231 K, ex PLM, dont les K8 et 82 qui clôturèrent l’ère de la vapeur sur le Nord. Il ne faut surtout pas éprouver de nostalgie, pour quoi que ce soit, mais aucun des triages existants ne pourra rendre cette période, absence de la vapeur oblige.

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