Le carnet du CFC

30 ans déjà !

Préambule
En 1978, la ligne à grande vitesse Paris—Lyon était en construction et Alsthom sortait de ses usines de Belfort les premiers TGV. Mon père, Jacques Defrance, qui collaborait à la revue Rail Magazine, eût l’occasion d’accompagner, deux mois après sa sortie d’usine, la première rame TGV, dite rame de présérie, n°23001/23002 lors de ses premiers essais en Alsace entre Strasbourg et Sélestat à 260 km/h. Il a réalisé à cette occasion le présent reportage qui est paru dans Rail Magazine n°19 de novembre 1978 et que nous reproduisons « in-extenso », en l’enrichissant de nombreuses photographies. Cet article permet de mesurer l’évolution extraordinaire du TGV en 30 ans d’existence.

À 260 km/h à bord du TGV

Texte et photos Jacques Defrance
Légende des photos Guy Defrance

Après la parution de nombreux articles ou notes dans diverses publications, il nous semble utile de faire le point sur le TGV, suite à une journée passée à son bord.
En reprenant un peu l’évolution du problème, nous rappellerons que la SNCF mit successivement en service plusieurs générations de turbotrains espérant, ainsi, s’affranchir des problèmes posés par la traction autonome dans le domaine des grandes vitesses des trains de voyageurs. C’est alors que naquit le TGS, premier turbotrain, réalisé par transformations d’un élément automoteur double de 330 kW en aménageant sa remorque en motrice à turbine et en profilant l’ensemble de la rame.

Le TGS au dépôt de Tours Saint-Pierre le 3 décembre 1967. La motrice à turbine est au premier plan. On remarque bien les ouïes latérales d’entrée d’air de la turbine ainsi que les déflecteurs de l’échappement en toiture. La motrice diesel d’origine est en deuxième position ; remarquez le panneau plein avec logo SNCF obstruant l’ancien accès voyageurs. Photo Jacques Defrance.

De cet engin fut issue l’idée ETG qui reprenait la solution d’un diesel pour une motrice (330 kW) et d’une turbine pour l’autre avec l’interposition de deux remorques centrales ; il n’y avait alors qu’un pas à faire pour remplacer la motrice diesel par une seconde équipée de turbine, cette composition n’étant toutefois possible que grâce à certaines améliorations dont l’une des principales fut la possibilité de démarrer la rame directement avec turbine ce qui n’était guère réalisable avec le TGS ou les ETG. La première de ces nouvelles rames, la RTG–01, ne fut équipée, au début, que de 3 caisses au lieu de 5, formation normale de série.

Rame ETG au dépôt de Caen, motrice X–4805 (diesel) en tête le 4 avril 1970. La filiation avec le TGS est flagrante. Photo Jacques Defrance.
RTG à 5 caisses en gare de Tours le 24 avril 1975 en version d’origine. Par leur confort et leurs performances, ces turbotrains ont permis l’amélioration et le développement des relations interrégionales. Photo Jacques Defrance.

Sous cette forme, cette rame fit de nombreux essais à grande vitesse entre fin 1972 et 1974. À la même époque fut commandé un engin plus élaboré, toujours à turbines, mais utilisant une transmission électrique à la place des transmissions mécaniques des types précédents : le TGV–001 qui était conçu avec de nombreuses innovations techniques. Ce turbotrain, qui effectua ses premiers tours de roues à la sortie des usines Alsthom à Belfort le 7 avril 1972 et composé de 5 caisses dont l’une aménagée en laboratoire, fit de nombreuses marches dans les Landes, en Alsace, ainsi que sur d’autres lignes de notre réseau national à des vitesses supérieures à 300 km/h.

Le TGV–001 à Paris–Montparnasse le 6 juin 1972, soit deux mois après sa sortie des usines Alsthom de Belfort, lors de l’exposition de matériel ferroviaire organisée dans cette gare à l’occasion du cinquantenaire de l’UIC. 
Photo Jacques Defrance.

Il fut équipé de divers types de bogies, les Y–225 de technique traditionnelle puisque leurs éléments sont ceux utilisés sur nos CC 6500 – BB 15000, blocs sandwiches métal caoutchouc, ou BB 12000, 9200, 16000, transmission Jacquemin à cardans, furent montées de construction avec ces bogies.
Entre-temps, une automotrice Z–7100, la 7113, était utilisée après maintes modifications aux essais d’endurance de bogies, les Y–226 qui contrairement à ceux du TGV, Y–225, n’étaient pas bi-moteurs, mais utilisaient la puissance d’un seul moteur par bogie, ce moteur étant suspendu sous la caisse de l’engin et entraînant les essieux par transmission à cardan coulissante dite « tripode ». Ce montage allégeait les bogies qui en outre avaient une suspension modifiée et un empattement de 2,900 m contre 2,600 m sur les Y–225 du TGV.

La Z–7001 « Zébulon » au dépôt de Bordeaux le 29 mai 1974 entre deux courses d’essais sur la ligne des Landes. Photo Jacques Defrance.

Après de nombreux essais sur la 7001 dénommée « Zébulon » des bogies Y–226 furent essayés sur le TGV–001 sous la dénomination Y–229, modèle élaboré du précédent, ceux-ci donnèrent entière satisfaction aussi bien avec le TGV qu’avec la Z–7001.
De ces diverses investigations sortirent les Y–230, bogies moteur et Y–231, bogies porteurs, montés sur les rames TGV PSE (Paris Sud–Est), les moteurs étant des TAB 676.

Bogie moteur du TGV PSE, type Y–230, vu sur la rame de présérie en gare de Sélestat le 26 septembre 1978. Remarquez les câbles provisoires destinés à relier les différents appareils de mesure à la salle laboratoire située dans la remorque R1. Photo Jacques Defrance.
Bogie porteur Y–231 entre deux remorques du TGV PSE ; Sélestat le 26 septembre 1978. Photo Jacques Defrance.

Signalons à l’occasion que ces rames composées de 8 remorques et deux motrices extrêmes ne sont pas à adhérence totale puisque seules les motrices extrêmes désacouplables sont montées sur deux Y–230 alors que la rame ne possède qu’un Y–230 à chaque extrémité, les autres bogies, à raison d’un entre deux caisses, soit 7 bogies, sont des Y–231 porteurs. Il est utile de rappeler qu’une ligne de toiture 25 kV règne sur toute la rame, avec des connexions par tresses souples entre chaque caisse, afin de circuler sous ce courant avec le seul pantographe arrière levé ; la circulation sous 1,5 kV continu exige la levée des deux pantographes, un sur chaque motrice. En courant 25 kV – 50 Hz, les pantographes « unijambistes » sont des AMDE (Pantographe Différentiel à Grande Vitesse) couramment appelés « à double étage », en courant continu ce sont des AM–18B.

Pantographe pour courant monophasé type AMDE du TGV PSE ; remarquez la différence des cornes de l’archet par rapport au pantographe AM–18B pour courant continu qui est baissé. Sélestat le 26 septembre 1978. Photo Jacques Defrance.

Actuellement ne circule que la rame de présérie n°230001 / 23002 soit la première livrée à la SNCF le 25 juillet 1978 ; elle a effectué déjà plusieurs courses d’essais à vitesses progressives mais son haut lieu des grandes vitesses est sans aucun doute la ligne Strasbourg–Mulhouse portion de la ligne n°3 du réseau Est qui ne peut être parcourue, actuellement, qu’entre Strasbourg et Sélestat à 260 km/h pour des raisons d’équipement de la voie et de sécurités diverses.

Deux vues de la rame de présérie du TGV PSE en essais en Alsace, ici en gare de Sélestat. Photos Jacques Defrance.

Cette première rame fut prise en compte par la SNCF sans aménagements intérieurs étant utilisée actuellement uniquement en engin laboratoire. À cette fin, la remorque R1 (semi-motrice) a reçu un équipement de mesures très élaboré comprenant même un dispositif de télévision relié à deux caméras, une sur cette remorque orientée vers les pantographes de la motrice n°23001 et une sur la R8 orientée vers les pantographes de la motrice n°23002, cette installation complétée d’enregistreurs vidéo permet de suivre le comportement des appareils de captation de courant aux différentes vitesses.

Le TGV PSE, rame de présérie, en gare de Strasbourg le 26 septembre 1978, motrice 23001 en tête. Photo Jacques Defrance.

Les remorques R2 à R8 ne sont aménagées que de tables de conférence ou de travail et de chaises ainsi que d’appareils de contrôle portatifs, le lestage des diverses caisses étant réalisé à l’aide de sacs de sable. La masse de la rame contrôlée le 27 septembre sur bascule électronique à Belfort chez Alsthom équivaut pratiquement à un tirage par essieu d’un TGV à mi-charge.
Actuellement des essais de carénage de toiture sont en cours sur l’extrémité de la R8 jouxtant la motrice 23002, ces essais ont pour but de tester les réactions des pantographes en aérodynamisme.

Motrice 23002 et remorque R8 subissant des essais de carénage afin de tester les réactions des pantographes aux remous d’air et de trouver le meilleur aérodynamisme possible. Photo Jacques Defrance.

Le 26 septembre 1978, nous avons assisté dans cette rame aux trois aller et retour Strasbourg—Sélestat effectués dans la journée.

Le TGV vient d’arriver en gare de Sélestat ; marche 90051 du 26 septembre 1978. Photo Jacques Defrance.
Marches D'essais Strasbourg-Célestat
Intérieur du poste de pilotage du TGV PSE, motrice 23002. Photo Jacques Defrance.

À la marche 90051 graphiquée Strasbourg 9h34 — Sélestat 9h52, nous avons relevé les vitesses pratiquées aux divers Points Kilométriques (PK), au retour Sélestat 11h13 — Strasbourg 11h31, nous sommes montés dans la cabine arrière de la rame afin de pouvoir observer les turbulences produites par la circulation à 260 km/h (marche n°90050) où des remous engendrés par la dépression occasionnée au passage de la rame donnent des phénomènes d’aspiration particulièrement remarquables sur les haies vives et les arbustes plantés le long de la voie. Ces turbulences seraient d’ailleurs plus importantes avec une rame traditionnelle à même vitesse.

Peu après le départ de Sélestat, le paysage défile à vive allure au travers de la vitre de cabine arrière du TGV ; marche d’essai 90050 du 26 septembre 1978. Photo Jacques Defrance.
Toujours lors de la marche d’essais 90050 du 26 septembre 1978, le TGV PSE vient de franchir une des balises de signalisation de cabine à contresens, repérable à gauche (panneau carré bleu, triangle jaune pointe orientée vers la voie). Nous sommes en Alsace sur l’ancien réseau de l’AL et la circulation s’effectue à droite et non pas à gauche. Photo Jacques Defrance.

L’après-midi, Strasbourg 13h35 — Sélestat 13h53 (marche 90053), nous avons de nouveau effectué des relevés de vitesse dans la R1, cette circulation devant s’effectuer avec une accélération plus grande que le matin ou l’enregistrement de niveaux sonores avaient nécessité une montée progressive en vitesse.
Au retour de cet essai, nous avons pris place dans la R2 sur une banquette provisoire afin de constater l’impression de défilement du paysage pour un futur voyageur, cette marche 90052 s’effectua avec l’horaire suivant : Sélestat 14h40 — Strasbourg 14h58.

Marche d’essais 90055 du 26 septembre 1978 ; observation du pantographe monophasé AMDE dans l’écran de télévision de contrôle de la remorque R1 aménagée en laboratoire. Photo Jacques Defrance.

Enfin, le départ de Strasbourg à 15h54 avec arrivée à Sélestat à 16h15 se fit sous le couvert de la circulation 90055 dans les conditions similaires à la marche précédente, nous avons profité de ce parcours pour observer particulièrement le comportement du pantographe. Le retour de cette circulation : Sélestat 16h58 — Strasbourg 17h17, eut lieu dans les mêmes conditions qu’à la marche 90052.

Jacques Defrance — Octobre 1978

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