Le carnet du CFC

L'antique Tramway de Rio

Denis Le Tourneau

Lors de mon voyage au Brésil avec mon amie Fabienne, du 27 novembre au 14 Décembre 2008, nous avons eu l'occasion de prendre un certain nombre de transports ferroviaires, dont le plus impressionnant fut sans nul doute le "Sistema de Bondes de Sta Teresa" ou le Tramway de Sainte Thérèse ; antique tramway de Rio de Janeiro, inauguré en Janvier 1975, que nous avons pris le 05 Décembre.

L'antique Tramway de Rio en service régulier à "Estação Carioca".
Le quartier Sta Teresa et la ligne de Bondes.
La plaque commémorative de l'inauguration de la "Estação dos bondes de Santa Teresa" apposée à l'entrée de la station.

Tout d'abord, il faut savoir que le Brésil est un pays de contrastes où l'on trouve de grandes villes (plus ou moins urbanisées) et de grands espaces. Pensez donc le Brésil c'est 17 fois la France !

Vue de Rio Nord depuis le Corco Vado (Christ Rédempteur). Au premier plan une favela. Au fond le "Ponte Presidente Costa E. Silva" qui relie Rio de Janeiro à Niteroi de l'autre coté de la baie (04/12/08).

Vue depuis le Serra Express (train touristique - 30/11/08).

Une autre vue depuis le Serra Express.

Les distances se mesurent plus souvent en heure de vol ou en temps de trajet et non pas en Km même si vous voyagez en voiture ou en bus car, hors agglomération, hormis les routes fédérales (équivalent de nos autoroutes françaises, mais avec vélos et piétons qui traversent en plus !), peu de routes sont goudronnées (en campagne).

Quelque part sur la route fédérale entre Bombinhas (au Nord de Florianopolis) et Curitiba (08/12/08).

Hélas ce contraste se retrouve aussi dans le niveau social où l'on constate de grands écarts entre d'une part les riches et très riches et d'autre part les très pauvres. Au Brésil, pas d'allocation chômage ni d'assistance financière d'aucune sorte, si bien qu'il y a encore énormément de petits boulots, mais parait-il aussi beaucoup d'agressions ; par contre nous n'avons pas constaté de mendicité non plus. D'après mon cousin qui nous a reçu, il n'est pas rare de se faire braquer pour un porte monnaie. Le seul moyen : avoir deux porte-monnaie au cas où, et ne jamais se trouver seul ni aller dans les favelas. Aussi nous avons scrupuleusement suivi ce conseil, moyennant quoi, nous ne fument jamais agressés. Les favelas sont des bidonvilles (à ceci près qu'ils ne sont pas seulement en périphérie, mais également au cœur même des agglomérations) ; quartiers pauvres constitués d'une forte densité de petites constructions sauvages partout où personne ne se met parce que zone inconstructible, inondable, etc. Les "maisons" construites la plupart du temps en planches et matériaux de récupération, sont reconstruites en dur, lorsque le propriétaire gagne suffisamment sa vie en recyclant les ordures ménagères et toute sorte de choses. Paradoxalement, beaucoup ont une antenne parabolique énorme et s'ils ont une voiture, c'est un gros modèle !

Une favela aux environs de Curitiba vue depuis le Serra Express (30/11/08).

Remarquez les énormes antennes paraboliques (environs de Moretes 30/11/08).

Au brésil chacun sépare ses ordures : d'un coté les déchets biologiques et souillés, de l'autre les déchets recyclables ; les habitants des favelas se déplacent avec une charrette à bras, ou tirée par un cheval pour les plus aisés d'entre eux, et récupèrent qui le carton, un autre les matières plastiques, un autre les métaux, etc...

Une des innombrables charrettes à bras vue à Curitiba (09/12/08).

Une charrette à cheval vue depuis le bus touristique (équivalent aux cars rouge de Paris - Curitiba 09/12/08).

Certaines grandes villes comme Rio, ont commencé un début d'intégration de cette population en remplaçant les branchements électriques sauvages ou encore l'accès à l'eau par un réseau (plus) aux normes (même si ce ne sont pas celles que l'on connaît en France...). De même, certaines voies d'accès commencent à être traitées...

Le réseau électrique brésilien aux normes... du Brésil (Curitiba 09/12/08).

Vous l'aurez compris, au Brésil, la main d'œuvre n'est pas chère et, malgré cette grande misère, le Brésilien est très accueillant et toujours aux petits soins pour vous et c'est toujours service compris !

Fête de "l'Amigo Secreto" au Condominio de mon cousin (groupement de propriétés, cerclé de hauts murs surmontés d'une clôture électrique et gardé - 12/12/09).

Rio de Janeiro, grande ville (touristique) du Brésil de 6 227 335 habitants (source World-Gazetteer) - à comparer aux 2 153 600 habitants de Paris (en 2005) - est coupée en deux par la montagne surplombée du Corcovado (Christ rédempteur) avec au Sud, face à la plage, le Copacabana Palace, premier hôtel a avoir été construit et qui finança le percement du premier tunnel, permettant ainsi le développement et l'urbanisation de ce coté de la baie et, de l'autre coté, Rio Nord avec le pain de sucre. Rio c'est aussi de grands immeubles de béton et de brique, de magnifiques plages, un aéroport gagné sur la mer, des favelas compacts et le mondialement célèbre Carnaval de Samba.

Le Copacabana Palace, vu depuis la célèbre plage (05/12/08).

Rio vu depuis le téléphérique du pain de sucre. Au fond à gauche le Corco Vado (04/12/08).

Le pain de sucre et son téléphérique modernisé (04/12/08).

Le Sambadrome, haut lieu du défilé annuel de Samba (04/12/08).

Maintenant que vous connaissez un peu mieux la splendide ville de Rio de Janeiro, son étendue et sa population, vous comprendrez mieux l'aventure que nous avons vécu en empruntant son antique tramway. Et quand je dis aventure, c'est autant d'un point de vue historique, affectif, qu'émotionnel dans tous les sens du terme.

Estação Carioca, principale et moderne station de départ du tramway de Rio, est située non loin de la station de métro, un peu en arrière d'un quartier très vivant de la ville. Nous ne l'avons trouvée que grâce à l'aide spontanée d'un passant. Je vous l'ai dit les Brésiliens sont très accueillants. Au cœur d'un long bâtiment de béton, se trouve le petit guichet. Quelques tourniquets, chacun équipés d'un compteur mécanique, donnent accès au quai où arrive bientôt la motrice n° 12 arborant une livrée jaune à liserets gris. Le jaune est une couleur très présente au Brésil notamment sur les bus, les taxis, et toute la signalétique (tracés au sol et panneaux).

Le métro à notre arrêt de la "Zona Norte" (désolé je n'ai pas retenu le nom de la station).

Le seul et unique panneau indicatif de la station, juste devant celle-ci (dans notre dos).

Les voyageurs descendent de la motrice n°12 juste arrivée au terminus de Carioca (05/12/08).

La langue officielle du Brésil étant le Portugais et le brésilien ne parlant pas l'Anglais, j'eus bien du mal à obtenir les quelques renseignements suivant : durée du parcours 40 minutes, prix du billet 0,60 Reals par trajet (soit environ 20 centimes d'euros), heure du prochain départ ? 20 minutes ? Ceci afin de nous assurer que cette "promenade" soit compatible avec la suite de notre programme, et pas des moindre, à savoir l'heure de notre vol retour Rio-Curitiba.

Pour l'heure, je profite donc de cette attente pour prendre les photos ci dessus, puis dès que nous pouvons accéder au quai, naturellement, mon objectif se porte plus sur l'aménagement et les détails remarquables ou amusants de comparaison avec ce que nous connaissons en France ; comme par exemple le repérage au sol de la station de la position des bancs du tramway, par des numéros en cuivre allant de 1 à 9, tout comme on peut le voir pour nos TGV, alors que le placement est libre et que la numérotation des bancs du tramway est dans l'ordre inverse ; sans doute dû au retournement annuel du matériel pour équilibrer l'usure des essieux ?. Je vous l'ai dit au Brésil, on est aux petits soins pour vous. Modeste et un peu antique Tramway, certes, mais avec élégance !

La mécanique (de la motrice), digne d'une pièce de musée de nos associations, gras à souhait est, de ce fait, en très bon état malgré son grand âge et un service régulier.
Le poste de conduite arrière. En réalité il ne servira pas, l'autre extrémité de la ligne étant équipée d'un triangle de retournement.
Le terminus Carioca est également équipé d'une boucle et d'un triangle de retournement entièrement établi en voie à contre rails et aiguillages talonables à une seule lame mobile.
Détail du poste arrière du Wattman...

 : … avec juste au dessus la pince du contrôleur.

Sur la face arrière, notez la corde reliée à la perche pour remettre celle-ci en place.

Les dossiers sont réversibles. Signe, comme le second poste de conduite, que les motrices sont retournées, probablement une fois par an, afin d'équilibrer l'usure des essieux.

Grande délicatesse envers les voyageurs : l'indication au sol des bancs de la motrice (en réalité les n° sur la motrice sont inversés).

Un court instant, je me suis pris pour le Wattman ; hé oui, désolé, je n'ai pas résisté à ce petit plaisir innocent et vous avoue humblement que j'aurais eu bien du mal à avoir la dextérité du Wattman en titre dans les courbes des ruelles de Sta Teresa.

Un des deux panneaux illustrant la récupération et la restauration de 14 tramways et la pose des voies (du terminus actuel ?).

C'est parti ! Le wattman monte à son poste et après s'être assuré d'un rapide coup d'œil que les passagers sont tous à bord, il passe le premier cran de marche tout en libérant le frein pneumatique. Aussitôt, la conduite de frein se purge et le moteur laisse entendre un "dzzzziiiii" caractéristique. Nous démarrons, comme dans les années 40, sauf qu'on est en 2008 ! Le léger bruit du moteur est vite couvert par les claquements du manipulateur, le bruit de la conduite de frein, le crissement des roues dans les courbes, mais aussi et surtout par le bruit des roues sur chaque joint de voie qui aurait bien besoin d'être resserré... Sans attendre le bout du quai, la voie décrit une courbe à gauche (partie de la boucle de retournement), puis laissant cette boucle à gauche, nous filons tout droit en direction d'un pont, a peine plus large que la motrice, qui nous met tout de suite dans l'ambiance du rustique et de l'économique !... Heureusement, pour améliorer la sécurité des voyageurs, des filets ont été tendus de chaque coté, mais la hauteur par rapport à la chaussée en contrebas reste impressionnante.

Départ de Carioca, direction le quartier de Sta Teresa. Nous allons tout droit. A gauche, la boucle du terminus de Carioca.

Nous arrivons sur le pont au gabarit du Tramway.

A la sortie du pont, le tramway s'engage dans le quartier de Sta Teresa, sur une voie qui semble d'époque, posée au milieu d'une rue pavée, mais établie à double voie à partir de ce point. Sous le contrôle du Wattman, la motrice accélère, cahote, vibre, tremble, les roues cognent sur les joints de rail mal ajustés, grimpe, file, ralenti pour une courbe serrée, prendre un passager à la volée, ou passer une zone de voie mauvaise (sic !), rase murs, maisons et véhicules en tous genre, mais poursuit vaillamment sa voie. Occupé à me tenir tant on est secoué, et couvert par tous ces bruits, je n'ai pas entendu arriver le Tramway qui redescend. Tant pis, je photographierais le prochain. Arrêt en ligne, le receveur-aide mécanicien, descend, saisi une barre de fer et s'en sert pour faire plaquer la lame d'aiguille. Le Wattman, redémarre avec beaucoup de précaution, puis "l'obstacle" passé, repasse rapidement les crans de marche dans une série de claquements secs, d'air qui se purge et de sifflement des moteurs. Plus loin, il marquera de nouveau l'arrêt et, après deux coup de cloche, notre Wattman quittant son poste, saisissant un journal, s'empresse en direction d'un petit abri en bois, ressemblant fort à un kiosque à journaux, d'où surgit une femme venant récupérer sa livraison. Aussi prestement, chacun regagne son poste et le tramway poursuit sa voie.

Dans les rues de Sta Teresa, peu après le pont étroit, la voie commence à grimper et, pour le moment, le gabarit est large...
La deuxième motrice que nous croisons est tout aussi remplie de voyageurs.
Arrêt technique pour faire plaquer la lame d'aiguille à la main.

La motrice serpente dans les rues, toujours pavées, grimpe de plus en plus, nous offrant entre deux maisons une vue dégagée sur Rio de Janeiro. Après de nombreux arrêts matérialisés par un simple poteau ou même une plaque fixée à un mur (représentant un autocar !), nous arrivons à ce que j'appellerais une station. Portant le nom de "Curvelo" et établie au beau milieu d'un large carrefour, celle-ci est constituée d'un quai recevant un petit abri, probablement autrefois utilisé comme guichet, surmonté d'un toit, largement débordant et décentré, également soutenu par un pilier. C'est la seule de la ligne ; probablement en raison de la bifurcation de la voie vers un quartier qui n'est apparemment plus desservi. Comme à chaque fois, l'arrêt est bref, limité au strict nécessaire pour permettre à quelques passagers de descendre ou de monter ; le receveur percevant le prix des billets (tarif unique) en circulant de banc à banc sur le marchepied qui court tout le long de la motrice. Au fur et à mesure que nous avançons, nous pénétrons de plus en plus dans la pauvreté.

Photo n° 470_7060 : Vue sur Rio de Janeiro (au retour)

Photo n° 470_7056 : La seule station de la ligne équipée d'un petit abri (vue au retour). A noter la bifurcation de la voie au fond à gauche vers un quartier qui n'est plus desservi.

A un arrêt, sur le muret au-dessus de nous, s'étale une collection de jouets fait de bric et de broc, boîtes de conserves et planchettes de récupération assemblées au mieux, parfois même peints, en forme de véhicules, personnages, outils, etc... On y voit même une motrice de tramway à taille d'enfant fort ressemblante. Nous qui ne manquons de rien et ne sommes pas habitués à voir cela, sommes vite mal à l'aise, à la fois coupable de notre aisance sociale, émus par tant de pauvreté et émerveillés par l'ingéniosité et l'aspect, certes, artisanal, mais bien fini de tous ces jouets. Être ainsi plongé au cœur même de la pauvreté est un véritable électrochoc qui ne peut laisser personne indifférent et nous donne l'impression d'être totalement en décalage, "à côté de nos pompes" tant la télévision, avec son flot continu d'images sur la pauvreté dans le monde, a fait écran à la proximité de la réalité. Bref, nous-nous rapprochons dangereusement de la favela et cela n'est pas pour nous rassurer. Je range et cache au mieux mon appareil jusqu'au retour afin de ne pas attiser les convoitises.

Au bout d'un moment, nous arrivons à une autre bifurcation, le Tramway s'immobilise à l'arrêt, tout le monde descend ou presque, puis la motrice redémarre, stoppe, avance encore un peu par à-coups, avance, passe une aiguille, puis recule par à-coups, passe une seconde aiguille de ce qui semble alors être le triangle de retournement du terminus, bien que la ligne continue dans les trois directions, stop de nouveau, puis avance, stop, recule par à-coups, retombe sur sa voie, redémarre en marche avant avec délicatesse, passe enfin la troisième aiguille pour s'immobiliser de nouveau au droit du panneau de l'arrêt. Les voyageurs grimpent dans la motrice, aussitôt le receveur commence à percevoir le prix de la course tandis que, sans attendre une seconde de plus, le Wattman passe déjà les premiers crans de marche. Le tramway s'ébranle et atteint rapidement sa vitesse de "croisière".

Au retour, nous croisons un autocar et le Tramway que nous avons croisé à l'aller et qui remonte plein de voyageurs. Au fur et à mesure que nous descendons vers le centre de Rio, nous retrouvons notre sérénité ; aussi parce que nous savons maintenant que nous arriverons à temps pour notre avion. En contrebas de l'étroit pont, j'aperçois ce qui ressemble fort à une motrice de tramway rouge d'un autre modèle et j'ai tout juste le temps de faire un cliché à la volée. Difficile de voir si c'est une vraie motrice ou simplement un élément d'habillement d'un petit commerce ?

En contrebas du pont, une motrice de tramway ? ou simple décor ?

Puis à la sortie du pont, la voie retrouve la verdure, le tramway passe une aiguille, laissant sur la droite la voie en direction du dépôt, continue tout droit et arrive peu de temps après au quai du départ / terminus de la ligne de "Estação Carioca". Tout le monde descend et chacun poursuit son chemin...

La sortie du pont étroit, la voie retrouve l'herbe de "Estação Carioca", départ/terminus et dépôt de la ligne.

A droite, la voie en direction du dépôt, en face, le quai de la station Carioca, à gauche la boucle et le triangle de retournement.

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