L'Association

Le locotracteur N°16

Freddy Genot & Jean-Marie Lemaire

Nous sommes en 2001, le 4 mars  à Soisy-sous-École, beaucoup d'entre nous (du CFC et des autres réseaux) s'en souviennent, une vente exceptionnelle eut lieu : celle de la succession Mervaux. Le locotracteur constitue le lot 30.

Lot 30. Locotracteur à bogie à transmission électrique de construction artisanale soignée, moteur à essence poids environ 1,5 T bon état .
Est. :4.000 - 5.000 FF Mise à prix :  Vendu : 4500 F.

Ce locotracteur, construit autour d'un groupe électrogène (de la seconde Guerre mondiale) alimenté par un moteur à essence Hercule est tout à fait inhabituel. Seul le bogie arrière est moteur. Son constructeur (carrossier à Moissac) avait même installé un compresseur et un réservoir d'air pour les freins. Il est de fabrication artisanale. D'une esthétique soignée, sa peinture a subi l'outrage du temps.

Arrivé au CFC le lundi 12 mars avec le Decauville; il est nettoyé le week-end suivant.
À partir de cette date une nouvelle aventure va commencer pour lui.

Acquisition et premiers travaux. 
Marc nous avait dit « il faut y aller car c’est la dernière occasion de pouvoir acheter du matériel intéressant ». C’est donc en force que le CFC s’est rendu le samedi 3 et le dimanche 4 mars 2001 dans la forêt de Fontainebleau pour assister à la vente du siècle. François nous a raconté dans le numéro 66 de la LVDC, comment on fait de bonnes affaires dans une vente aux enchères, surtout quand on a un ami derrière soi. Pour ma part, j’avais repéré un petit locotracteur à l’entrée de l’appentis qui était sensé abriter les monuments historiques stockés là. 
Samedi Jean-Pierre achète un locotracteur Gmeinder. Le soir, je consulte le catalogue de la vente et constate que l’évaluation du petit locotracteur est très raisonnable et que je pourrais me l’offrir.
Après les 040, les 030 et les 020, arrive le tour des engins à moteur. Encouragé par Vincent et Marc, ainsi que par les dires de Jean, je me décide à enchérir. Mon concurrent lève la main à 4000 F. Je lève le bras et aussitôt je suis pris de remords en me disant que j’avais dépassé l’évaluation du catalogue. Trop tard, adjugé vendu puisque plus personne ne lève la main. Si mon concurrent avait su que j’allais m’arrêter, je n’aurais pas ramené un engin à retaper de plus à Villeneuve.
François a raconté comment tout le matériel a été transporté aux Chanteraines car ce n’était pas simple de sortir les engins de la forêt pour les mettre sur un camion, même si Vincent s’est révélé expert comme chauffeur poids lourd dans la traversée des zones boueuses.

Extraction du loco sur le chantier de Soisy-sous-Ecole 
Arrivée au CFC.

À Villeneuve, toute l’équipe veut voir le jouet. Jean-Marie le passe au Karcher, et Vincent fait tourner le moulin comme il l’avait déjà fait avant de le charger sur le camion.
Comme nous avions encore quelques bricoles à finir sur les voitures en cours de construction, Jean-Pierre et moi avons décidé de ne rien faire sur nos locotracteurs avant de les avoir terminées. Finalement, c’est en janvier que le travail « sérieux » a commencé.
En attendant, Daniel avait interrogé ses copains du Sud-Ouest pour apprendre que l’engin aurait été construit par un carrossier ou un mécano pour un forain, Delamont ou Delamour, à Moissac. Il aurait été vendu à M. X du Tarn et Garonne pour faire un petit train touristique.
M. Mervaux l’a acheté en 1976 ou 77 suite à une annonce dans Voie Étroite.
Pour moi, l’intérêt de ce locotracteur réside dans l’esprit inventif de son concepteur.
Jugez-en plutôt : on récupère un groupe électrogène, probablement amené en France par l’armée américaine car il a été construit en 1942, et un moteur électrique triphasé 110 volts de 3Kw monté directement sur le bogie arrière. Un boîtier de direction de camion sert de réducteur, des poulies et des courroies plus ou moins tendues grâce à un câble de frein tiré par une commande de frein à main de 2CV servent d’embrayage. Un compresseur électrique monophasé 110 volts gonfle un réservoir d’air de camion MAN pour alimenter les deux vérins qui actionnent les freins à patins de bois sur les 8 roues. Tout cela n’est pas techniquement très orthodoxe mais il se pourrait que cela fonctionne ! Le moteur à essence du groupe électrogène est un Hercules ZXB 2’ 5/8 à soupapes latérales dont le manuel d’instruction est toujours disponible au prix de 25 $ ! 

Le groupe électrogène 
Démontage de toutes les parties du loco. 
Gros plan sur le moteur électrique triphasé 127 volts 
Détail d'un des deux bogies freinés

Début février, on sépare le groupe électrogène du châssis puis on soulève celui-ci pour retirer les bogies pour les remettre en état ainsi que le moteur de traction, le réducteur et les chaînes.

Mise en peinture d'apprêt
Puis vient la livrée définitive

Le 18 mai, on couchera le châssis pour le repeindre. Il sera remis sur ses bogies le 14 août. 
Après la carrosserie et les bogies, j’ai attaqué la restauration du moteur. Le capot du groupe électrogène enlevé, je me suis penché sur le moteur Hercules. Premier dilemme : faut-il garder l’alimentation 6 volts ou passer en 12 volts ? Finalement, je suis passé à la tension supérieure ce qui simplifie les problèmes d’approvisionnement en batterie. Le démarreur supporte très bien les 12 volts. Je devais remplacer la dynamo mais les alternateurs modernes ne manquent pas dans les casses. Le problème c’est que l’emplacement et l’entraînement prévus pour la dynamo ne conviennent pas pour un alternateur. Alors, j’ai opté pour la solution du chargeur que je peux alimenter depuis le groupe électrogène ou…le réseau au dépôt sachant qu’à part les coups de démarreur, le moteur consomme moins d’un ampère. Ceci étant, j’envisage de monter un jour un alternateur. 

Le groupe sorti de sa boîte
Le support du groupe

Le capot du groupe Le tableau de commande
J’ai remplacé la bobine par une 12 volts, refais les câbles haute tension qui n’étaient plus très isolés. Le flotteur du carburateur, en liège, était en piteux état. J’en taillé un dans un gros bouchon mais je ne suis pas entièrement satisfait du résultat. 
Les collecteurs admission et échappement ont été nettoyés, les jeux des soupapes réglés, une vidange, c’est tout pour le moteur à essence. 

Le capot du groupe
Le tableau de commande

C’est finalement en septembre 2003 que le locotracteur fut remonté et essayé. 
Le fameux embrayage « par tension de courroie » n’était pas très au point aussi avons nous enlevé le capot arrière et Vincent assis sur le châssis « embrayait » à l’aide d’un levier. L’engin ne roulait pas très vite, mais il avançait et nous sommes arrivés après quelques arrêts involontaires à la gare de la ferme et même aux Fiancés ! Sur le chemin du retour nous avons pu faire un démarrage en cote grâce au redoutable l’embrayage assisté.

L’assistance de l’embrayage
 Comment ça marche ?
On arrive en haut de la montée
Il n’y avait pas de vitres mais un ange gardien

J’ai achevé la remise en état du locotracteur mais il n’a guère roulé car il était trop lent pour l‘insérer dans le trafique des journées spéciales. 
Vincent m’a fait faire quelques essais de traction. Nous avons déplacé une benne de charbon sur quelques mètres, une baladeuse du père Noël avec 9 voyageurs et la voiture salon. Au cours d’une journée portes ouvertes, j’ai essayé de suivre la rame de bennes mais j’ai du me faire pousser.

Les transformations
De nombreuses solutions m’ont été suggérées pour remplacer la transmission, source du manque d’efficacité de la machine. Finalement, Jean-Marie Lemaire m’a proposé d’installer un groupe hydraulique EATON dont il avait l’expérience et en plus, il s’est proposé pour faire les transformations nécessaires.

L’objectif était de participer aux journées internationales du mois d’octobre. Deux semaines avant le jour J, nous avons fait les premiers essais. Ils furent encourageants mais interrompus par le desserrage du levier de commande du groupe hydraulique. Le mercredi suivant, Jean-Marie avait usiné une rainure de clavette dans le levier et nous avons repris les essais pendant que les copains se fatiguaient pour installer la voie internationale.
Le locotracteur roulait beaucoup plus vite mais était incapable de monter une rampe un peu sérieuse. La perte du ventilateur de refroidissement du groupe EATON et de sa poulie d’entraînement a interrompu les essais. Finalement le locotracteur ne fut pas prêt pour participer à la cavalcade des journées internationales !
Ces avatars n’étaient pas suffisants pour nous décourager. Pour simplifier, nous avions choisi de garder les pignons existants. Il fallait modifier les rapports de réduction pour augmenter le couple à la roue. Les pignons de 22 dents des essieux ont été remplacés par des 45 dents, les poulies d’entraînement du groupe ont maintenant un rapport de 1/1. Nous sommes repartis pour de nouveaux essais et cette fois, nous avons fait toute la ligne. Avec trois mois de retard, nous sommes arrivés aux Mariniers et au RER !

Merci à Jean-Marie sans qui le locotracteur serait toujours en standby dans le dépôt. Merci aussi à tous les membres du CFC qui m’ont encouragé et aidé.

Suite de Jean-Marie Lemaire :
Voici l’histoire de ma rencontre avec ce magnifique petit locotracteur dit « n°16 « :
Ce n’était pas la première fois que je tournais autour de ce locotracteur, je le trouve réalisé avec de bonnes proportions, un bon look, bref il a de la gueule.
Ce jour là, Freddy qui devait se demander pourquoi je regardais son locotracteur avec autant d’insistance me dit : « c’est un entraînement par courroies, ça patine, on n’a jamais réussi à parcourir la ligne de bout en bout, mais je garde espoir qu’une modification de la transmission devrait pouvoir améliorer les choses, il reste à trouver une solution »
La, ce fut le déclic et l’expérience positive que je venais de faire sur un locotracteur à l’échelle 7 pouces 1 /4 avec un petit groupe autonome hydraulique de marque EATON me fit penser qu’il devait être possible d’adapter ce dispositif dans la ligne de transmission. L’avantage évident de cette solution était qu’elle simplifiait à l’extrême l’inversion de marche et assurait une souplesse de fonctionnement non négligeable sans entrer dans de complexes montages pompe-moteur que nécessite souvent la solution hydraulique. Un contact téléphonique avec la société SOMINEX, distributeur des groupes EATON, vint conforter mes premières cogitations.

Je fis donc part de ces argument à Freddy et après quelques réflexions il me dit : « OK, mais j’ai acheté ce locotracteur 4500 F, il ne faudrait pas que la transformation me coûte le prix d’un tracteur neuf ! »
Une rapide étude nous fit déboucher sur un budget possible de 1000 €, somme qu’il semblait nécessaire d’engager pour atteindre notre objectif : faire fonctionner ce locotracteur d’une puissance de 3 KW, d’un poids de 1,5 tonne à une vitesse d’environ 20 Km/h sur l’intégralité de la ligne. (Le faire devenir une vraie locomotive était encore un autre volet du programme, mais pourquoi pas, nous y reviendrons car à l’heure où j’écris ces lignes, les essais ne sont pas encore terminés) 
Nous avons donc décidé Freddy et moi de nous lancer et avons commencé par sortir le boggie moteur du châssis. Cela m’a permis de réaliser un relevé précis de celui-ci que j’ai transcris immédiatement en plan informatisé.
Grâce à ce plan, nous avons envisagé plusieurs solutions de transmission (mono ou bi coupleur hydraulique), moteur dans le même sens ou inversé, avec maintient ou suppression de la transmission par vis sans fin (colonne de direction). C’est l’avantage du dessin informatique de pouvoir concevoir toute les solutions possibles sans contrainte, sans arrière pensée qu’entraînent souvent les modifications de plan dans le cadre du dessin classique.
Notre projet fut donc arrêté aux transformations suivantes :

Première version. Il manque les poulies et la courroie.

C’est ce premier jus qui roula la veille des 19ème Rencontres Internationales mais que nous n’avons pas pu concrétiser, comme l’a expliqué plus haut Freddy. (Imaginez la détresse des concepteurs !)
Qu’à cela ne tienne, il en fallait plus pour terrasser notre collaboration. Nous nous sommes remis aux calculs et nous sommes arrivés à la conclusion suivante :

Autant le premier point était simple à réaliser puisqu’il s’agissait de tourner des poulies en alu, autant le deuxième n’alimentait pas vraiment notre enthousiasme car il fallait toucher à l’assemblage des essieux dont nous ignorions tout de leur montage.
Grâce à la connaissance qu’avait Daniel LEGUILLOUX d’un fournisseur de pignons et chaînes, nous avons pu trouver ce qu’il nous fallait pour confirmer nos nouveaux calculs .La solution apparaissant souvent avec la difficulté du problème à résoudre, j’eu l’idée de recouvrir les pignons existant par les nouveaux pignons, ce qui évitait le fastidieux démontage des essieux.
Un alésage fut donc usiné dans les nouveaux pignons au diamètre des anciens et le sciage en deux parties des nouveaux pignons permis de couvrir les anciens.
La transmission de puissance fut alors obtenue par la mise en place de barres de traction reliant les deux pignons dans le même plan (simple mais efficace).
A partir de là, remontage de la transmission, remontage du moteur électrique, modification de la commande de frein pour permettre d’avoir un frein de parc avec les sabots sur les roues (car le freinage normal est assuré par l’hydraulique en inversion de sens), remontage des nouvelles poulies alu et essais.

Le bogie modifié
Un pignon de 45 dents sur l’ancien de 22

Nous sommes le mercredi 03/02/2010, nous avons 3 mois de retard, mais ça marche, et nous ne cachons pas notre joie Freddy et moi lorsque nous arrivons aux deux extrémités de la ligne en ayant proprement distancé le Campagne que Guy et Pierre conduisaient pour nous accompagner.
Il reste maintenant quelques petits réglage sur le groupe et le moteur, quelques adaptations sur le capot du poste de contrôle (notamment pour bien voir l’ampèremètre car cela se conduit comme une vraie locomotive) la remise en place du plancher de cabine et la commande de frein de parc à réaliser.
Mais je pense que nous avons atteint notre premier objectif :

Notre deuxième objectif à atteindre : 

Petit Lac
Gennevilliers, RER
Les Fiancés

Nous vous tiendrons au courant. 
Sans augurer des résultats de notre 2ème objectif, je tiens à remercier Freddy pour m’avoir fait confiance au travers de la réalisation de ce projet, et je précise que j’ai vraiment « pris mon pied » sur cet atelier.
Je souhaite que d’autres ateliers de ce type naissent, car l’amitié entre tous se trouve nettement renforcé.
Merci Freddy, merci à tout ceux qui de prêt ou de loin, dans l’ombre ou la lumière, ont participés à ce projet.

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