Baguenaude

Paris 1910, le rail et les inondations

MAD

Janvier 1910 restera gravé dans la mémoire des parisiens en tant que crue unique et un siècle plus tard il est bon de ressortir quelques vielles cartes postales des cartons (plus de 3 000 cartes postales ont été publiées à l'époque pour immortaliser l'événement) pour se rendre compte de l'aspect singulier de ce mois de janvier inhabituel dans la capitale.
Cette crue est le résultat direct d’une forte pluviosité sur un sol saturé avec une concomitance parfaite des ondes de crues des bassins amont (Yonne, Loing, Grand-Morin, Marne, Aube).
Paris et l'Ile-de-France ont de tout temps subi des crues de la Seine entre novembre et mars avec une forte probabilité en janvier et c'est précisément en janvier que la crue du siècle a été observée avec une mesure non officielle de 8,62 sur le Zouave (1) du Pont de l'Alma. 
Les protections édifiées par E. Belgrand n'ont pas suffi (2). En effet sur la rive gauche les voies en tranchée du P.O. ont permis à l'eau de s'engouffrer dans le tunnel inondant le quartier St Germain-des-Prés et celui des Invalides.

Le rail n'a pas été épargné que ce soit pour les chemins de fer, les tramways parisiens et le métropolitain.

Les grandes gares
Quelques grandes gares ont été sinistrées et l'iconographie est abondante pour illustrer ces édifices mythiques du voyage qui se sont transformés, la durée d'un hiver, en embarcadère pour canots.

La gare d'Orléans inaugurée en 1900 à l'occasion de l'exposition universelle et construite dans le but de rapprocher le terminus des lignes du P.O.
Dix ans après elle est inondée lors de la crue de la Seine.

La Compagnie d'Orléans colle des affiches prévenant les voyageurs que suite aux inondations les départs et arrivées sont reportés en gare d'Austerlitz. Elle prévient en outre les voyageurs que certains trains sont susceptibles de subir du retard.

Ligne Austerlitz—Orsay

La gare d'Austerlitz côté cour marchandises.
et l'intérieur vue de la passerelle du métro.
L'intérieur de la gare d'Orsay tête de ligne de la ligne Paris—Orléans. On voit la partie supérieure du monte charge. La voirie est au niveau supérieur à celui des voies.
Au dépôt de la Compagnie du P.O. Immersion des voitures de factage. (5)
La gare St Michel entre Austerlitz et la gare d'Orsay. Sa proximité de la Seine l'a positionnée en première ligne. Vue en direction des Invalides.

Ligne Invalide—Champ de Mars—Versailles

Gare des Invalides, terminus de la ligne de Versailles Rive gauche. L'eau recouvre les toitures des quais en contrebas.
La gare du Champs de Mars créée pour l'Exposition Universelle. 
Deux lignes St Lazare—Champs de Mars ont existé : par Auteuil et par Issy-Plaine.
Croisement de deux trains sur la ligne des Invalides entre Champs de Mars et Javel.
La ligne St Lazare—Champs de Mars, côté Passy.

Petite ceinture

Sur cette photo le viaduc d'Auteuil ou plutôt du Point du jour de la Petite Ceinture. On voit des tombereaux jeter les ordures directement dans la Seine. Le service du traitement des ordures avait également été suspendu.

St Lazare

La construction récente du métropolitain (la première ligne date de 1900) sans compter celles des lignes en construction en 1910 ont largement contribué à l'inondation de nombreux quartiers dont celui spectaculaire de St Lazare.

Gare St Lazare, place de Rome le niveau est passablement monté. Et à droite cette locomobile sans doute réquisitionnée pour actionner une pompe d'épuisement. La construction des lignes de métro a favorisé l'écoulement de l'eau.
Batterie de locomobiles place de Rome pour puiser l'eau... et la rejeter dans la Seine ? 
Et ça pompe !  Les locomobiles sont mobilisées pour le pompage des caves, ici celle du "Monde Illustré" Quai Voltaire.

Aux inondations il faut ajouter les pannes de l'éclairage (3) de l'eau potable, de l'électricité. Même l'air comprimé qui actionnait les horloges publiques était interrompu.
Le Paris de cette fin janvier 1910 est méconnaissable. La circulation qui déjà connaissait des problèmes d'embouteillage est pratiquement suspendue. Seules les voitures hippomobiles peuvent encore circuler mais les automobiles sont devenues des auto-immobiles.
Dans les rues on voit quelques barques et des planches sur des tréteaux qui permettent encore le déplacement de la population. Par ailleurs, plusieurs ponts furent fermés, (et gardés par la police) rendant les échanges difficiles entre le deux rives du fleuve.
De nombreux canots (4) ont été acheminés vers la capitale et des sauveteurs ont été la cheville ouvrière du sauvetage de la population dont certaines maisons menaçaient de s'écrouler. Pour embarquer, il a fallu construire des embarcadères. En complément à ces canots, des radeaux ont été construits sommairement avec des planches et des bidons. Manœuvre à la perche comme sur la rivière voisine de la Loire.

Les lignes de métro et de tramways ont eux aussi subi des dommages.

La ligne Louvre—St Cloud à air comprimé. Le marche-pied est juste au dessus du niveau de l'eau et ne semble pas inquiéter ce voyageur.
Automotrice à accumulateurs de la C.G.O. sur la ligne TF Louvre
—St Cloud prolongée ensuite sur Vincennes.
Le Quai de Passy avec au fond une rame de la ligne Louvre—Versailles qui évolue à vue.
Les parisiens se sont réfugiés sur la rampe d'accès restée hors de l'eau.
L'eau arrive juste au niveau de la jupe de la motrice du Louvre—Versailles au droit du pont de Passy mais ne l'empêche pas pour autant d'assurer son service.
Il n'en n'est pas de même pour les tramways électriques qui eux ont été complètement paralysés.
Locomotive à vapeur Purrey.
Une autre vue de tramway à vapeur Paris—Versailles. Locomotive à vapeur Purrey.

Si la crue proprement dite n'a duré qu'une dizaine de jours, ses conséquences en terme de dégâts ont occupé les parisiens une bonne partie des mois qui ont suivi. En effet de nombreuses maisons (particulièrement en banlieue) se sont écroulées (30 000 maisons sinistrées), des plate-formes ferroviaires se sont affaissées particulièrement à Maisons-Alfort et Villeneuve St Georges et il a fallu reconstruire avant le rétablissement des circulations. Les rues dont à cette époque les pavés étaient en bois (sûrement à cause des chevaux) ont été elles-mêmes défoncées et c'est le granit qui a servi à la reconstruction.
Sans compter les éboulements de la chaussée et des galeries qui ont servi à construire les tunnels du métropolitain.

Et en banlieue
À
Gennevilliers, l'Île-Saint-Denis et Villeneuve-la-Garenne les désastres sont lourds. Les digues ont été submergées, les écoles évacuées, les animaux noyés. Beaucoup de maisons, certaines  de fortune, ont été détruites et le nettoyage et la reconstruction ont demandé beaucoup de temps et de travail.

St Denis - La Briche.
Les rails du tramway de la Trinité à Enghien ont disparu sous les eaux. Cette carte postale nous rappelle qu'elle passait ici.
À Clichy, le boulevard National. Les boutiques sont fermées, le rails au fil de l'eau et seul un attelage s'aventure le long de la ligne de tramway.
 Colombes en revanche, la voie en remblai n'a pas subi de dommages.

 En basse Seine, il en est de même, ici la gare d'Épône-Mézières sous les eaux.

 

Les wagonnets au service de la reconstruction. Ici à Troyes sur la ligne de Brienne.
Sur la Marne à Château-Thierry le niveau est monté passablement et les chevaux qui décorent la pile centrale du pont de la Compagnie des Chemins de fer du Sud de l'Aisne ont disparu sous les eaux. Pour sa première année d'existence ce pont aura bien tenu. (Collection J-M. Lemaire)

Les précédentes crues : février 1858, décembre 1740 et janvier 1802
(Document "Seine en partage" - base documentaire)

 

Notes :
  • (1) La mesure officielle des crues séquanaises est une échelle située au Pont d'Austerlitz et non pas le Zouave de l'Alma.
  • (2) Eugène Belgrand, polytechnicien et ingénieur général des Ponts et Chaussées est un des architectes du plan Haussmann. On lui doit la création des égouts de Paris et les aqueducs de la Vanne et de la Dhuis
    Lors de ses travaux, il avait tenu compte des possibilités d'inondation lors des grands travaux parisiens. Pour cela, il avait renforcé et rehaussé des murailles afin que l'eau de la Seine ne se déverse pas dans les égouts.
  • (3) L'éclairage fonctionnait au gaz.
  • (4) Les canots Berthon sont de petits canots pliables, créés pour l'armée et qui connurent de grands usages à la fin du XIXe s. et au début du XXe.
  • (5) Les grandes compagnies étaient assujetties au factage et au camionnage pour la remise au domicile des destinataires les marchandises qui leur étaient confiées. Les tarifs à percevoir étant fixés par l'administration sur proposition de la Compagnie

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