Le carnet du CFC
"Il était une fois l'Orient Express" Institut du monde arabe, Paris.
Marc André Dubout
Si, dans l'histoire du chemin de fer, un train peut être qualifié de "légende", c'est bien "l'Orient Express", de par son prestige, son histoire, ses parcours. Véritable trait d'union entre l'Europe et l'Asie, le train unique trace sur la carte un lien magique entre deux mondes, c'est ce que que nous a proposé cette exposition remarquable qui s'est tenue du 4 avril au 31 août 2014 à l'Institut du Monde Arabe.
Organisée, conjointement avec
la SNCF et l'Institut du Monde Arabe, l'exposition retrace l'épopée de ce
train mythique, visionnaire d'une modernité et d'un luxe jamais atteints pour
l"époque et celles à venir.
Istanbul, porte de l'Asie devient alors un "nouveau centre du monde"
à portée des Européens. Au milieu du bouleversement de la géopolitique avec
l'effondrement des empires ottoman et austro-hongrois, "l'Orient
Express" traverse une nouvelle donne géographique qui verra naître de
nouveaux pays et la transformation du monde.
Les distances n'existent plus.
À l'approche du parvis la 230-G-353 (anachronique pour l'époque évoquée)
saute comme un monstre d'acier au visage du visiteur. C'est sûr, ce que nous
allons voir va nous étonner, nous surprendre. Impressionnante au milieu des
quatre voitures, le train est là complet il ne nous reste plus qu'à embarquer
à l'intérieur et partir à des milliers de kilomètres passant d'un continent
à l'autre, d'une époque à l'autre, pour découvrir une civilisation jusque
là mal connue, une culture ignorée.
Constantinople, Le Caire, Bassora, Tripoli des noms de capitales qui immergent
le voyageur européen dans un autre monde qu'il découvre avec fascination et
étonnement.
Le décor est planté
avant d'entrer au sein de l'exposition.
Georges Nagelmakers,
un visionnaire de son époque
"L'Orient Express"
a été créé par Georges Nagelmakers (1845-1905), un capitaine d'industrie
belge, visionnaire qui après l'École des Mines part aux États-Unis et est
surpris par la modernité des transports ferroviaires outre Atlantique mis en
place par G.M. Pulmman dont les voitures offrent un confort sans précédent
alors que l'Europe conservatrice transporte plutôt que ne propose un voyage.
Issu d'une famille de banquiers, de retour en Belgique, le jeune Nagelmakers quitte la finance pour
fonder la Société "Georges Nagelmakers & Cie" qui deviendra,
en 1876, la célèbre "Compagnie Internationale des Wagons-lits et
des grands express européens".
Rapidement le siège quitte Bruxelles pour s'établir à Paris, plus central en
Europe et des filiales représentent la C.I.W.L. dans divers pays. Le caractère
international de l'entreprise en fait une l'entreprise novatrice et G. Nagelmakers
la prolonge en créant des hôtels à la hauteur du train mythique (Riviera
Palace à Nice, Pera palace à Constantinople, etc.).
Homme de communication G. Nagelmakers achète un domaine en ruine à Villepreux,
près de Versailles et y invite les célébrités de l'époque. Pour l'anecdote
il réhabilite la source du domaine et en livre l'eau minérale dans ses
voitures.
Lors
de l'Exposition universelle de 1900 synthétisant les progrès du siècle, un
hommage lui est rendu pour son oeuvre et c'est cette même année qu'est créé
le célèbre monogramme qui arbore les luxueuses voitures de la
Compagnie.
G. Nagelmakers s'éteint en 1905 dans sa propriété de Villepreux et son
corps repose à Angleux en Belgique près des siens.
La voiture Pullman 4159
La
voiture salon type Pullman n°4159 a été construite en 1929. Elle est
équipée de 20 fauteuils en velours et de 10 tables. Deux compartiments salon
de 4 places chacun se situent à chaque extrémité de la voiture. Ils servent
à la fois de salon et de salle particulière de restaurant.
Les panneaux de verre sont de René Lalique1 et les lampes de René
Prou2.
La restauration remonte à 1987. Le travail réalisé est magnifique.
Une idée des aménagements intérieurs et quelques mises en scène
évoquant le voyage mythique au siècle dernier.
Vue
de la voiture restaurant "Anatolie" n°2869, non visitable. Cette
voiture a été construite en 1925 à Birmingham d'après un plan de la
CIWL. La marqueterie est d'Albert Dunn3.
L'intérieur est composée de parois lambrissées en marqueterie loupe et ronce
d'acajou avec des guirlandes de fleurs en bois de violette, de rose, de platane,
de citronnier et d'ébène de Macassar.
D'une capacité de 14 tables, cette voiture peut
accueillir 42 personnes et inclut sa propre cuisine autonome chauffée au
charbon.
L'Orient Express" et les évolutions du chemin de fer.
Depuis 1825 qu'existe la première circulation commerciale, les
infrastructures étaient présentes sur une partie du parcours à l'exception
des Balkans qui verront la pose des rails en 1889. Il ne restait donc qu'à
construire le matériel roulant utilisant les infrastructures des diverses
compagnies françaises et européennes.
Plus
le poids des trains augmentait, plus celui des rails devait s'adapter aux
roulements de plus en plus lourd. De ce fait la voie s'améliorait offrant aux
voyageurs un confort toujours acru.
Il est de même pour les locomotives qui à l'origine, à basse pression
ne pesait qu'une quinzaine ou une vingtaine de tonnes pour atteindre avant la
Grande Guerre un poids de cent tonnes et capables de tracter entre 500 et 600
tonnes.
La création du bogie a permis l'allongement des voitures dont la longueur de
la caisse était auparavant limitée par l'empattement des essieux. Les
caisses elles-mêmes construites à l'origine en bois sont construites en
fer.
Locomotive
n°501 type 120 avec tender à deux essieux de la Compagnie de l'Est (dépôt d'Épernay) vers
1870.
Avec cette génération la cabine de conduite s'agrandit, protégeant
davantage l'équipe. Avant un simple écran coupe-vent était jugé suffisant.
La suspension, le confort sont sans cesse améliorés. L'intercirculation,
permet de passer de la voiture-salon, à la voiture-restaurant et aux
voitures couchettes. Le train devient un hôtel roulant. L'éclairage au gaz
ou au pétrole est remplacé par l'électricité qui fait merveille et la
vapeur chauffe délicatement les voitures. Les bouillottes sont abandonnées.
Il en est de même pour la signalisation qui de mécanique devient lumineuse.
Un simple passage sur la voie déclenche le feu rouge pour le train suivant,
l'asservissement utilisé dans les machines à vapeur s'applique au train.
C'est le début de l'automatisation.
Le tracé de
"l'Orient Express".
Le
4 octobre 1883, l'Orient Express" quitte la gare de l'Est pour la
première fois à destination d'Istanbul. En Europe, il prend le nom de "Simplon
Orient Express" (1930-31). Très vite une véritable toile se dessine
en l'Europe avec l'utilisation de lignes adjacentes qui alimentent la ligne
mythique. Londres, Berlin, Bordeaux, Odessa deviennent des points de départ et
divers itinéraires par Vienne, Budapest et Milan se mettent en place. Toutes
ces lignes se rejoignent à Belgrade pour atteindre la Porte de l'Orient. Une
branche vers Bucarest et une autre vers Athènes apparaissent, rapprochant
toutes les grandes capitales européennes.
Le train traverse le Bosphore en ferry. En Asie,
il devient le "Taurus Express" (1930). Il traverse alors la Turquie
(Ankara), atteint Alep. L'Égypte, théâtre de grands travaux (canal de Suez),
voit construire sa première voie ferrée dès 1856 et tout naturellement l'Orient Express"
atteint Le Caire. Les Compagnies maritimes sont sérieusement concurrencées
tout comme les liaisons aériennes, plus tard, mettront à mal notre train
légendaire.
Et lorsque la voie ferrée n'atteint pas certaines capitales, c'est un service
d'autobus (de construction Rolls Royce) qui est mis en place pour rallier Téhéran ou Haïfa.
De 1883 à 1977, le train traverse les bouleversements politiques des pays
du Moyen Orient et son tracé s'accommode au gré des disponibilités qui lui
sont offertes, il devient irrégulier et finit par mourir en 1977.
Le groupe Accor rachète la C.I.W.L. et surtout les hôtels, tandis que la
S.N.C.F. devient propriétaire des quelques voitures que l'on peut
visiter.
Il fallait quatre-vingt une heure et demi pour atteindre la Corne d'Or puis
soixante sept seulement pour parcourir les 3186 Km. lorsque la liaison
ferroviaire complète sera établie.
Entre les deux guerre il reliera 11 capitales européennes et
autant au Moyen-Orient
L''Orient Express"
bloqué par les congères. En 1929, le journal La Croix relate le
fait divers du train bloqué à Tcherkkerkeui dans les montagnes de Thrace
pendant onze jours.
Fait divers inspirant Agatha Christie.
"L'Orient Express" et le rêve.
Faire revivre les cent trente ans de "l'Orient Express"
c'est rendre hommage à son créateur, en le faisant connaître, c'est aussi
retracer l'histoire du rapprochement entre l'Europe et le Moyen-Orient rêve
déjà entrepris au temps de César et Cléopâtre, c'est également allier art et
industrie, technique et savoir-vivre, luxe et aventure. C'est sans doute pour
ces raisons que d'illustres célébrités comme Apollinaire, Agatha Christie,
Paul Morand, Graham Green, Pierre Loti ont voyagé et surtout ont été inspiré
par ce microcosme ambulant où tous les possibles ne demandaient qu'à surgir
pour fasciner. Livres, photographies, films, histoires rocambolesques ont été
créés au rythme de la fumées dispersée sur son trajet.
Rendons hommage à l'Emir Abdelkader, qui a voué sa vie au rapprochement du
Moyen Orient et l'Occident et s'est éteint à Damas à la veille de la mise en
service de "l'Orient Express".
Voilà bien un train qui abolit les frontières.
La gare de Haïdar Pacha. On pouvait également traverser le Bosphore en vapeur |
La communication clé du succès.
Georges Nagelmakers était un homme de communication avant l'heure. Faire
connaître ses trains, c'était faire connaître son savoir-faire. Là encore il
s'est inspiré de l'Américain Pullman. Voyage de presse, affiches richement
décorées, brochures, étiquettes tous les médias de l'époque remplissaient
à merveille leur fonction de diffusion auprès du public.
Par ailleurs le prestige incomparable attire le monde de la littérature, du
spectacle, du cinéma. Des intrigues y sont imaginées, des romans publiés (le
crime de l'Orient Express). La communication se nourrit d'elle même, la
notoriété est naturellement entretenue, elle roule sur les rails du bouche à
oreille (parfois aussi du bouche à bouche, à en croire les savoureuses
intrigues).
Les luxueuses affiches de la Compagnie
Dormir et se restaurer en roulant.
En France, à cette époque l'image caricaturée du voyage
par Daumier règne
dans les esprits, les voitures ne sont que des wagons transportant des voyageurs
seule la présence des bancs fait référence à la gente humaine, on transporte
des masses, on ne voyage pas.
Avec "l'Orient Express" non seulement le voyageur sort de son
pays, passe les frontières sans quitter son fauteuil, mais il vit à bord du
train, y déjeune, s'y repose, y dort et le train à la vitesse moyenne de 70
Km. à l'heure laisse derrière lui les kilomètres qui s'évanouissent dans la
nuit.
Les voyages en chemin de fer ( Daumier) |
Les voyages dans l'Orient express |
Le matériel est complètement privé comme l'étaient celui des grandes compagnies
de l'époque. Il est construit dans les ateliers de la compagnie et roule à ses
frais. De nombreuses négociations ont dû être menées par la Compagnie de
l'Est mandatée pour négocier avec les
compagnies étrangères de pouvoir rouler sur leurs voies, pour passer les frontières etc.
Mais
rien de toutes ces complications n'ont entravé le rêve de G. Nagelmakers.
Et
les réglementations dans tout ça ? Pas de normes européennes pour harmoniser
le voyage et pourtant le voyageur vit à bord du palace roulant et ne se rend compte de
rien. "Les femmes y sont plus belles, les hommes plus audacieux"
nous confiera J. Kessel.
Les grandes figures de "l'Orient Express".
"L'Orient Express" a été rendu illustre par les
célébrités qui y ont voyagé. Le roi de Bulgarie, le Maharaja de Cook
Behar en 1907 font le voyage, alors que l'un est aux commandes de la
locomotive et fait des excès de vitesse, l'autre est accompagné de ses
femmes et de ses concubines dans une voiture spécialement décorée à son
intention. Et quand il désire manger de l'agneau, le train est arrêté et
un boucher local en fournit. La Compagnie sait répondre aux demandes qui sont
satisfaites.
Leopold II, le Roi des Belges y voyage
également. Agatha Christie (1890-1976) en
décrit avec précision les détails dans son livre Le crime de l'Orient
Express et ce sont les faits divers qui s'y déroulent qui l'inspire.
L'écrivain orientaliste Pierre loti, Graham Greene, l'académicien Paul Morland,
Joseph Kessel, l'illustrateur Bazil Zaharoff, Joséphine Baker et ses chiens, y fréquentent
les fauteuils en velours.
Littérature, cinéma avec James Bond et Tatiana dans Bons baisers de
Russie (1963) et Sherlock Holmes attaque l'Orient Express (1976),
illustrations, le palace bleu a inspiré nombre d'artistes, écrivains
et autres créateurs.
Avec ce train l'Orient est devenu une source d'inspiration.
Puisse encore le Train fasciner !
Notes
:
Sites à voir
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