Le carnet du CFC
Notre ami et membre actif du CFC Jean-Pierre Charlier, m'avait confié un recueil de "Souvenirs Ferroviaires" qu'il a écrit et que j'ai dévoré non stop en une seule fois à l'exception toutefois des derniers chapitres dont je retardais la lecture pour en savourer le contenu. Il s'agit de souvenirs comme nous (les plus anciens, amoureux du rail) nous en avons tous connus dans notre enfance, souvenez-vous dans les années 50, juste après le deuxième Guerre mondiale, c'est à dire des souvenirs qui sentent encore l'humidité chaude de la vapeur et les relents d'huile tiède. Beaucoup d'entre nous se retrouveront à le rencontre de ces lignes que notre bulletin se propose de publier au fil des numéros, c'est à dire une douzaine qui couvriront l'année 2019, voire un peu plus. Voilà bonne
lecture, merci Jean-Pierre et s'il vous venait à l'idée de vous
replonger dans vos propres souvenirs, confiez les nous pour les partager. |
Souvenirs ferroviaires - Chapitre 1 - Années 194?-1951
Jean-Pierre Charlier
Bien sûr, je n’ai pas le souvenir précis de mon premier contact avec le chemin de fer, mais habitant Enghien, il est fort probable que ce soit dans cette gare, que je l’ai côtoyé dans ma petite enfance. Parfois nous nous rendions à Paris, c’est donc par la gare du Nord que nous avions notre passage obligé.
Dès le départ de la gare d’Enghien le train s’engageait sous la place Foch, et je me revois encore pleurant durant cette courte traversée qui plongeait le convoi dans l'obscurité. Il se peut cependant que mon premier contact ait eu lieu en gare de Sannois, car en 1948 (je n’en ai aucun souvenir), nous avions passé des vacances en Normandie, et pour nous rendre à Paris Saint-Lazare cette fois, nous prenions le train à Sannois, avec changement à Argenteuil.
Mes véritables souvenirs commencent vraiment en 1951.
Cette année là, nous nous rendions (mes parents, ma nièce et moi) sur les mêmes lieux qu’en 1948. Départ de Paris Saint-Lazare jusqu’à Lisieux. Puis un autorail nous conduisait jusqu’au Breuil-en-Auge (14), petite station sur la ligne Lisieux - Deauville. De là nous gagnions à pied le lieu-dit La Monteillerie. À cette époque bien sûr, j’ignorais tout du matériel ferroviaire, mais l’image qui me reste de cet autorail, c’est celui d’un Picasso, autorail Renault type X 3800 (j’en reparlerai prochainement). Durant ce séjour, un oncle et mon frère nous ont rejoints. Nous sommes allés les attendre à la gare du Breuil-en-Auge. Ils arrivaient de Bagnoles-de-l’Orne (61). Quel beau voyage ferroviaire ont-ils dû faire, avec de nombreuses correspondances. Là encore je revois cette scène. Ils descendaient eux aussi d’un Picasso. Une fois, nous avons passé la journée au bord de la mer, à Deauville ou Houlgate. Nous attendions le train en gare du Breuil et ce jour là, ce fut un train vapeur qui assura le service. Je me rendais bien compte que la locomotive était différente de celles que je voyais habituellement à Enghien. C’était peut-être une 141 C, car le dépôt de Lisieux en a possédé longtemps. Le jour de notre retour, pour nous rendre à Lisieux, nous devions encore être dans un Picasso, car j’ai le souvenir d’un évènement précis. Ces autorails ont la particularité d’être aménagés, dans leur partie arrière, avec les banquettes face à la voie, ce qui en fait un point d’observation idéal. Or ce jour là, alors que l’engin roulait au ralenti (en marche arrière), en entrant dans une gare, un militaire, sa valise à la main, au lieu de traverser les voies par les passages prévus à cet effet, a traversé les rails juste devant nous pour rejoindre le quai d’en face. Ce détail semble confirmer que nous étions bien à l’intérieur d’un Picasso car peu de véhicules ferroviaires possèdent ce type d’aménagement.
Je me dois ici d’expliquer la raison du nom de Picasso donné à un autorail. Ces appareils ont été mis en service à l’époque où le peintre était célèbre pour son style, et les cheminots les ont surnommé ainsi car ces nouveaux autorails n’avaient pas le nez au milieu de la figure. En effet la cabine de conduite était surélevée et déportée sur l’avant droit, ce qui leur donnait cet aspect assymétrique. Ils furent construits à 251 exemplaires (X 3801 à 4051). Leur mise en service s’est échelonnée de 1951 à 1961. Mais ce qui m’étonne, c’est qu’à trois reprises et dans une période rapprochée, j’ai la conviction d’avoir vu ces appareils alors qu’il n’est pas certain qu’ils furent présents dans ces lieux à cette époque. Je m’explique : d’après mes lectures ils furent d’abord affectés à Rennes, Le Mans et Nantes. C’est étonnant de les voir alors, assurer un service Lisieux - Deauville. Mais pas impossible non plus, le dépôt du Mans pouvant en détacher quelques-uns pour assurer ce type de desserte. Si c’est le cas, je peux dire que je les ai empruntés dès leurs mises en service.
On verra au cours des pages qui suivront que ces souvenirs sont parfois marqués de mystères, de doutes et d’interrogations, et qui resteront pour certains jamais élucidés. Ce qui me rassure, c’est que Maurice Maillet, le remarquable auteur de Vapeur, Hommes et Machines, fut lui aussi perturbé par les mêmes sentiments.
Avant de continuer ce récit, je pense qu’il est préférable d’apporter maintenant quelques précisions d’ordre technique (aux risques d’ennuyer le lecteur…).
Concernant les locomotives à vapeur il faut savoir que leur appellation dépend de la disposition des essieux, suivi d’une lettre et du numéro de série.
La disposition des essieux est désignée par trois chiffres. Le premier concerne le nombre d’essieux porteurs (en partant de l'avant), le deuxième le nombre d’essieux moteurs et le troisième à nouveau le nombre d’essieux porteurs (à l’arrière sous la cabine de conduite). Exemple : 141 désigne une loco ayant un essieu porteur à l’avant, quatre essieux moteurs et un essieu porteur à l’arrière. Les essieux porteurs sont toujours de diamètre inférieur aux essieux moteurs. Parfois il n’y a pas d’essieux porteurs. Exemple : 030 désigne une loco n’ayant que trois essieux moteurs. Dans ce cas il s’agit souvent d‘un engin de manœuvres. Ces locos, généralement, emportent sur elles leur réserve d’eau et de combustible, caisses à eau de part et d’autre de la chaudière et hotte à charbon derrière la cabine de conduite. Cas aussi des locomotives de banlieue qui assurent de faibles parcours, contrairement aux locomotives attelées à un tender de grande capacité qui leur permet de parcourir environ 350 km.
Le numéro des loco-tender est toujours suivi de la lettre T suivie elle-même de la lettre de série. Pour les locomotives originaires des anciennes compagnies les lettres vont de A à N. Pour les locomotives mises en service sous la SNCF les lettres vont de P à Z.
Ces lettres sont elles-mêmes suivies d’un autre numéro. Celui-ci désigne son numéro dans la série. Exemple : 141 TC 10. Il s’agit d’une locomotive de dispositions d’essieux type 141, d’une locomotive tender T (donc emportant eau et charbon sur elle), C, car antérieurement avait été construit le type TA puis TB. Le 10 veut dire que c’est la dixième machine de sa série. Les 141 TC de la région Nord ont été construites à 72 exemplaires. Elles portent donc les numéros 141 TC 1 à 72. Les 141 P 1 à 318, les 141 R 1 à 1340, etc. Certaines ont été construites à un seul exemplaire souvent resté à l ’état de prototype, cas de la 232 U 1, un des rares prototypes à avoir assuré un service régulier sur la région Nord.
Le numéro qui suit la lettre provient parfois du numéro d’origine de l’ancienne compagnie à laquelle elle appartenait. Exemple : les 141 TA de la région Sud-Ouest portent les numéros 301 à 490.
Lorsqu’on regarde une locomotive de face, sur la traverse avant, entre les deux tampons, figure le numéro de la loco, exemple 141 TC 10 , mais à gauche du tampon de gauche dans un petit rectangle blanc figure un chiffre. C’est celui du numéro de région. Si ce chiffre est un 2, il s’agit d’une loco affectée à la région Nord, mais on peut se trouver devant une 141 TC de la région Ouest si le numéro dans le rectangle est un 3, etc. D’où les situations embarrassantes devant lesquelles je me suis parfois trouvé. Dans l’exemple que je viens de prendre, ces locomotives ont cependant un aspect très différent aussi bien l’aspect général qu’au niveau de l’embiellage. Sur chaque côté de l’abri de conduite figure aussi le numéro de la loco et son dépôt d’affectation, soit peint en blanc, soit sur une plaque moulée en cuivre, rivée sur l’abri.
Par contre il y a des engins communs à plusieurs régions, Les 141 P que l’on trouvaient sur l’Est, l’Ouest et le Sud-Est, les 140 C sur l’Est et l’Ouest, ou bien sur toutes les régions, cas des 141 R. Parfois se produisaient des mutations d’une région à une autre avec des changements de numéro, mais parfois seul le numéro de région changeait. Exemple : les 231 K du Sud--Est passées à l’Est et au Nord. Dans ce cas le 5 d’origine était remplacé par le 1 à l'Est et le 2 au Nord.
Il faut aussi préciser que, selon la disposition des essieux, un nom leur était attribué. Le plus connu est celui de Pacific pour les 231 (qui a donné lieu à une musique du compositeur Arthur Honegger), Mikado pour les 141, Mountain pour les 241, Hudson ou Baltic pour les 232, Consolidation pour les 140, Décapode pour les 150, Ten Wheel pour les 230. Voici pour les dispositions les plus courantes.
Je reconnais que cela peut sembler rébarbatif et obscur pour le lecteur néophyte et je le prie de bien vouloir m’en excuser, mais il me paraît inévitable d’en passer par là lorsqu’on aborde un tel sujet. Bizarrement, c’est cette apparente complexité qui a fait mon bonheur, mais je reconnais y avoir parfois perdu mon latin et il m'aura fallu de nombreuses années pour maîtriser le sujet.
Il faudra pourtant que je recommence ce genre d’explication, lorsqu’il s’agira des locomotives diesel et électriques. Je dois préciser que concernant les locotracteurs diesel, ils sont repérés par la lettre Y suivie de leur numéro de série. Exemple Y 8000 (de 8001 à 8375), la lettre X pour les autorails. Exemple X 3800 (de 3801 à 4051) et la lettre Z pour les automotrices électriques. Exemple Z 7100 (de 7101 à 7133).
Sans doute, la première
locomotive que j'ai rencontrée dans ma jeunesse.
La 141 TC 1 (141 TC 1 à 72) assurant la
réserve en gare de Paris-Nord, mai 1967 (embiellage spécifique à ce type de
machines avec distribution dite Cossart, avec la petite bielle dentelle
en haut et la grosse bielle saumon en bas).
... l'image qui me restera de cet autorail c'est celui d'un Picasso...
Autorail Renault X 3800 Picasso, vers Argentan (61), en septembre 1977.
(Photo Raymond Floquet)
Sur la ligne Lunéville(54) Rambervillers (88) Bruyère (88), en août 1980.
(Photo J L Poggi)