Le carnet du CFC
Souvenirs
ferroviaires - Chapitre 2 - 1951
Jean-Pierre Charlier
Nous sommes toujours en 1951, mais au mois d’août. Cette fois-ci, destination Bagnoles-de-l’Orne, donc départ pour la gare d’Enghien afin de rejoindre la gare du Nord. Bien sûr cette partie du trajet était aussitôt mise à profit pour observer tout l’environnement ferroviaire. Chaque fois que je prenais le train c’était un grand moment d’exaltation et de curiosité.
En ce début des années cinquante, il y avait tout au long de ce parcours une grande animation, et dès la gare d’Épinay-Villetaneuse on pouvait voir certaines fois des choses intéressantes. Je vais donc essayé de décrire ce que l’on pouvait y observer durant cette décennie.
C’est dans cette gare que se séparaient les deux itinéraires de Paris-Nord à Pontoise et la ligne du Tréport. Dès la sortie de la gare les trains en direction du Tréport s’engageaient sous la ligne de Pontoise par une forte pente et les trains arrivant du Tréport rejoignaient celle de Pontoise par une forte rampe en courbe. C’est dans cette courbe que, par le hasard des circulations, on pouvait voir arriver un train de banlieue en provenance de Persan-Beaumont ou de Luzarches via Monsoult avec une rame identique à celle dans laquelle nous étions, poussée par une 141 TC (toujours en queue du train dans le sens province-Paris) ou bien, cas plus rare, mais de ce fait beaucoup plus intéressant, un train en provenance de Beauvais ou du Tréport et qui lui, était remorqué par une magnifique 230 D. La rame était composée de voitures Talbot (voitures de banlieue) ou bien de voitures d’express de l’ancienne compagnie du Nord, type B11 (je reviendrai plus tard sur ce type de matériel). Ces jolies machines, toujours bien astiquées me plaisaient particulièrement, avec leur aspect un peu vieillot, leur grosse cheminée légèrement évasée, leur petit abri de conduite étriqué et leur petit tender (23 A) à trois essieux comportant une hotte à charbon assez proéminente, ce qui les rendaient identifiables au premier coup d’œil.
Puisque je parle du tender, je vais ici, repartir dans de brèves explications techniques les concernant. Sur ce type de véhicules, rien de compliqué, le premier chiffre indique tout simplement sa capacité en eau (dans le cas présent 23 mètres cubes) et la lettre, la série à laquelle il appartient. Cette lettre est suivie d’un numéro qui, comme pour les locomotives, est son numéro dans sa série. Il y a eu une très grande variété de tenders construits. Certains étaient communs à plusieurs types de locomotives, cas des 34 P que l’on retrouvaient mariés (c’est le terme employé par les cheminots) aux 141 P, 241 P ou 150 P. D’autres ne furent attelés qu’à une seule série, cas des 141 R avec leur 30 R, mais il y en avait deux variantes : ceux pour le charbon et ceux pour le fioul, car une partie des 141 R étaient conçues pour ce type de chauffe. L’esthétique de ces tenders était identique, il fallait les voir du haut d’une passerelle, par exemple, pour faire la différence.
J’en reviens à la gare d’Épinay, Il y avait en ce temps là une certaine activité marchandise et divers embranchements particuliers. Je me souviens d’une courte voie en impasse, tout de suite à l’entrée de la gare sur la gauche en venant d’Enghien, et sur laquelle stationnait parfois un wagon citerne. A la sortie de la gare, une voie desservait une usine du nom de Cisailletôle me semble-t-il, et qui recevait des wagons tombereaux à toit ouvrant. Il y avait dans la cour de cette usine une petite plaque tournante qui permettait de positionner les wagons sur une voie située perpendiculairement aux voies principales. Je suppose qu’ils étaient manœuvrés par treuils et poulies, comme c’était souvent le cas à l’époque. Deux autres embranchements s’engageaient par des courbes serrées en direction de la route qu’elles traversaient pour rejoindre des usines. Dans la gare proprement dite il y avait la classique voie qui menait à la halle marchandise avec son quai haut, sa grue marchandise, manuelle, avec ses deux grands volants de part et d‘autre de la flèche, ainsi que la bascule et le gabarit de chargement. Cette voie se prolongeait de quelques mètres au-delà de la halle, et sur ce court tronçon on pouvait voir durant de nombreuses années, un wagon couvert à bogies type TP (Travaux Publics), wagons introduits en France à la fin de la guerre de 14-18 pour reconstituer les effectifs. Ce véhicule était retiré du service commercial. Celui-ci était me semble-t-il marqué VB (voies et bâtiments), la caisse peinte en vert, les extrémités en blanc sur lesquelles était écrit en lettres rouges et en capitales : NE PAS TAMPONNER. Il était fréquent de les rencontrer sur les voies de débords un peu partout en France. Tous ces wagons n’étaient pas encore réformés et on pouvait en voir encore circuler dans les trains de marchandises. Toujours dans la cour de la gare, sur la voie la plus éloignée, étaient stationnés de nombreux wagons couverts dans lesquels on chargeait ou déchargeait sur des camions quantité de casiers de bouteilles. Et le plus intéressant bien sûr, pour manœuvrer tout cela, une locomotive. C’était déjà une loco diesel. Pendant de nombreuses années la tâche était confiée à une 040 DA puis à la fin des années cinquante c’est une plus récente 040 DE qui prit la relève.
Je crois que revoilà le moment de parler technique à propos des locomotives diesel et de leur numérotation. C’est un peu le même principe que les locos vapeur. 040 correspond à la disposition des essieux moteurs à la différence que ceux-ci sont positionnés sur deux bogies. 040 désigne donc une loco avec quatre essieux moteurs. La lettre D signifie Diesel et la deuxième lettre, celle de la série. Les 040 DA étant donc plus anciennes que les DE. Les 040 DA ont été mises en service en 1946 (comme moi…) et elles ont été fabriquées aux États-Unis, Je reparlerai plus loin de ces machines, car en fait ce sont de fausses 040 (!!!).
Après ce long arrêt en gare d’Épinay-Villetaneuse, reprenons notre cheminement pour la gare de Saint-Denis. Entre ces deux stations, il y a à présent quatre voies. Les deux voies concernant la ligne de Pontoise qui sont encadrées par les deux voies de la ligne du Tréport. Juste avant d’entrer en gare de Saint-Denis, ces quatre voies sont enjambées par un passage supérieur qui rejoint le dépôt des Joncherolles, fief des 141 TC. Il n’était d’ailleurs pas rare d’en voir une évoluer sur cette voie. Sur notre gauche, arrive aussi dans cette gare, la ligne en provenance de Creil (où dans cette ville se réunissent les voies en provenance de Lille et de Calais). A partir de Saint-Denis, je ne savais plus où donner de la tête. De gauche à droite une multitude de voies qui à cette époque étaient occupées par quantité de véhicules, comparativement au désert actuel.
À la sortie de la gare sur la gauche il y avait les ateliers des wagons lits, avec souvent ce type de wagons en stationnement. Puis sur la droite, les garages et ateliers du Landy où stationnaient les rames voyageurs grandes-lignes en attente de départ. Dans ces années cinquante, c’est le vert wagons qui dominait. La plupart des rames étant composées d’anciennes voitures d’express Nord dites Torpille, de voitures type B11 (je reparlerai plus loin de ces voitures) et de DEV AO (Division d’Etude des Voitures en Acier Ordinaire). Cet ensemble était parfois égayé par le bleu des wagons-restaurants et wagons-lits et le rouge des wagons-poste. Dans ce secteur, en plus des diesels 040 DA, il était fréquent d’y rencontrer des 050 TQ. Jolies locomotives de manœuvres mises en service par la SNCF et qui assuraient la mise en place ou le retrait des rames en gare du Nord. Entre ce faisceau de garage et le dépôt de la Chapelle, il y avait, toujours sur la droite, une plaque tournante et un dépôt de combustible. J’ai le souvenir d’une grue à vapeur effectuant le chargement du tender d’une locomotive, qui d’après l’image qu’il m’en reste, devait être une 231 C. J’ai retrouvé récemment dans le livre La France ferroviaire vue du ciel, une photo de ce site. J’ai lu beaucoup d’articles concernant le dépôt de La Chapelle, mais jamais il n’est fait allusion au fait que le moyen de tournage et le lieu de ravitaillement en combustibles, soient si éloignés du dépôt proprement dit.
Puis arrivait le point le plus intéressant du parcours : le dépôt de La Chapelle, avec toutefois une petite frustration, car les voies étant au même niveau, la vision restait limitée. Je veux dire par là que si la voie avait été légèrement en surplomb par rapport à celles du dépôt, le spectacle eut été plus grandiose. De plus il régnait parfois un nuage de fumée et de vapeur mêlées dissipant une partie du panorama. Il se trouvait rassemblé dans ce lieu la cavalerie de ce célèbre dépôt, mais je n’avais qu’une vision d’ensemble et je ne savais pas à l’époque distinguer les merveilles qui s’offraient à mon regard. Par exemple je n’ai aucun souvenir d’avoir vu ou aperçu les 241 P qui étaient pourtant affectées à ce dépôt jusqu’en 1958, année ou suite à l’électrification elles en furent les premières victimes (mutées à l‘Est et à l’Ouest). Je remarquais cependant presque à chaque fois, caché dans sa remise, ne laissant dépasser que le bout de son nez, un autorail TAR (Train Automoteur Rapide, XF 1101 à 1119). Ces beaux autorails, constitués de trois éléments de couleur gris-vert pâle avec une moustache jaune aux extrémités, je les retrouvais parfois à quai lorsque nous descendions de notre train en gare du Nord. Ils me fascinaient, car j’avais l’impression qu’ils me suivaient des yeux au fur et à mesure que je m’en rapprochais. Ce phénomène était causé par la disposition des feux. En effet, ceux-ci étaient encastrés dans la caisse, et comme celle-ci était arrondie à ce niveau, cela provoquait un effet d’optique qui me donnait l’impression d’un regard insistant… L’arrivée en gare du Nord était aussi l’occasion de belles observations avec souvent, côté grandes-lignes, des trains en attente de départ, en tête desquels se trouvaient de jolies coursières. Et curieusement, les visions qu’il m’en reste ne me laissent entrevoir que la silhouette des Pacifics ex-PLM, 231 G ou K (je précise ici qu’il n’y a aucun moyen de distinguer une G d’une K, la différence ne concernant que leur mécanisme interne). Pourtant en cette période, ces lieux étaient fréquentés par les 231 C et 231 E et les fameuses 232 R, S et U. Pour cette dernière et les 231 E, j’en reparlerais plus tard. Il ne faut pas oublier les inévitables 141 TC en tête des trains de banlieue. De plus, et jusqu’à la fin de la vapeur à Paris-Nord en décembre 1970, il y avait toujours sur une voie en impasse au bout des quais, une 141 TC assurant la réserve, prête à intervenir en cas de défaillance de l’une de ses consœurs.
Voilà quel était le contexte et l’ambiance qui régnaient en ces lieux jusqu’en 1958, année de l’électrification sur Paris - Lille. Mais la vapeur n’était pas complètement moribonde, et l’on verra plus loin que de belles observations vont encore se produire.
Nous voici donc en gare du Nord en août 1951. À ce train là, on est pas rendu à Bagnoles-de-l’Orne… Il nous faut donc gagner la gare de Paris-Montparnasse, ce que nous faisons en taxi (c’est étonnant, je ne me souviens plus de quelle voiture il s’agissait).
...Un
train en provenance du Tréport ou de Beauvais et qui était remorqué par une
230D...
Photo
A. Legrand
La 230 D 37
vers le dépôt de La Chapelle, en juin 1969.
...Pendant
de nombreuses années, la tâche était confiée à des 040 DA...
Photo
Jean-Louis Poggi
LA 040 DA devenue
A1A-A1A 62030 en 1962, au triage du Bourget, en juin 1985.
... Ils me fascinaient, car j’avais l’impression qu’ils
me suivaient des yeux au fur et à mesure que je m’en rapprochais...Photo
Raymond Floquet
Autorail TAR assurant
une relation Paris—Lille.