Le carnet du CFC
Souvenirs ferroviaires - Chapitre 12 - Réflexions, analyses, états d’âme…
Jean-Pierre Charlier
Je ne vois pas très bien comment je vais rédiger ce chapitre, tout en ayant la sensation de savoir ce que je veux y mettre. Le plus difficile étant d’arriver à lui donner un sens… Il n’échappera à personne que pour moi la grande époque du chemin de fer est loin derrière. Je crois que j’ai eu la chance de vivre cette époque merveilleuse faite de diversité, où vapeurs et électriques se côtoyaient. Il est curieux de constater que durant ma jeunesse tout ce qui était nouveau et moderne me passionnait. Je n’ai jamais vu arriver d’un mauvais œil, bien au contraire, les nouveaux autorails (Panoramiques) ou locos diesel (060 DA et DB) de mon enfance, ni les BB et CC à cabine centrale de « Valenciennes—Thionville ». J’ai commencé à être plus circonspect avec l’arrivée des BB 67000 ou les CC 40100, mais j’étais à ce moment là adolescent ou jeune adulte. Ce qui me « dérangeait » sur les 67000, c’est sûrement la dissymétrie des « flèches » latérales en aluminium (je préférais en cela les prototypes BB 69000 ou 70000 pourtant semblables mais symétriques). Sur les CC 40100 ce sont les pare-brises à pentes inversées qui devaient me contrarier. Par contre ce qui faisait mon bonheur chez bon nombre de locos électriques des années cinquante c’était les fameuses moustaches en aluminium des BB 9001, 2, 3 , 4, 2D2 9100 et CC 25000. La nouvelle numérotation pour les engins diesels à partir de 1962 ne m’a pas « incommodé » à l’époque. Par contre je n’ai pas « digéré » celle qui a consisté au début des années 2000, à rajouter un chiffre devant le numéro des locos, en fonction de leur affectation et voir ainsi une 67000 devenir 167000 ou 467000 selon qu’elle soit affectée au fret, infra, ou autre multiservice… Catastrophe que cette décision accompagnée de plus par des changements de couleurs ridicules puisque pas toujours respectés. Où l’on voit fréquemment une loco de fret en tête d’un express ou une en voyage (appellation encore plus ridicule) en tête d’un train de fret. J’en profite pour signaler ici qu’il est de bon ton de dire train de fret et non plus de marchandises, ou encore Technicentre à la place de dépôt de locomotives. Il est curieux aussi de constater que la SNCF qui se plaint de son déficit chronique trouve toujours assez d’argent pour repeindre de façon fantaisiste et désordonnée son matériel moteur, mais qui, en revanche n’a jamais les moyens d’entretenir ses lignes dites secondaires. Je lisais récemment un numéro de la revue Historail qui traitait de la fermeture des lignes depuis la création de la SNCF. C’est à pleurer. De 42000 km à la fin des années vingt, le réseau est tombé aujourd’hui, à 24000 km. Après l’acharnement à vouloir fermer les lignes au service voyageurs, c’est maintenant le service marchandises (pardon fret) qui en fait les frais. Dans une autre revue L’Écho du Rail chaque mois on peut lire une anecdote comme les deux qui vont suivre : « Fermeture d’une ligne fret en Sologne : le 30 mars 2011 le dernier train a circulé sur la section Châteauneuf-sur-Loire - Aubigny-sur-Nère (41), vestige des anciennes lignes des Aubrais à Gien et d’Étampes à Bourges. La BB 60007 a ramené des wagons citernes du centre d’embouteillage de gaz d’Aubigny. À raison de deux fois par semaine, celui-ci recevait des raffineries de Seine-et-Marne et de Seine-Maritime des arrivages annuels moyens de 750 wagons, qui seront remplacés par environ 2500 à 3000 camions… Cette ligne vient de vivre un scénario devenu classique. Faute d’entretien d’une voie ferrée, on préfère la fermer et encombrer encore un peu plus les routes de matières dangereuses, tout en se donnant bonne conscience avec un prétexte écologique, les autorités locales l’ont fourni en annonçant le rachat de la plate-forme pour y aménager une voie verte de randonnées ». Et cet autre exemple pour une autre cause : « Une coopérative agricole embranchée sur la ligne Toulouse - Narbonne, a renoncé au rail en 2010 pour ses transports de céréales vers Sète et Port-La Nouvelle, en raison des retards récurrents incompatibles avec les impératifs du trafic maritime. Un trafic annuel de 150000 tonnes a été ainsi perdu au profit du transport routier ». La SNCF devrait plutôt s’appeler la SNDF (Société Nationale de Destruction Ferroviaire)… Parmi les termes à rayer du vocabulaire traditionnel, il ne faut surtout plus dire train omnibus mais TER (Transport Express Régional)… Voilà sans doute à quoi réfléchisse les têtes pensantes de notre chère Société Nationale. Pour enfoncer encore le clou la mode est aux nouveaux entrants (ça, c‘est « grâce » à l‘Europe), c’est-à-dire des sociétés privées qui se chargent d’acheminer le trafic fret avec ses propres moyens de traction (des locomotives que, comme par hasard je trouve laides, avec un marquage impersonnel et sans aucune cohérence). On voit ainsi de plus en plus de sociétés privées qui se chargent d’acheminer, qui un train de carburant ou d’automobiles, qui un train d’eau minérale ou de conteneurs, etc. directement d’un point à un autre. Ces trains complets ou train bloc comme on les appelle n’ont plus lieu de passer par les gares de triages qui sont pour certaines radicalement supprimées. Il ne faut pas non plus oublier les OFP (Opérateur Fret de Proximité) sociétés privées (encore) qui se chargent maintenant d’assurer les dessertes terminales auprès des clients embranchés dont la SNCF se désintéresse (ne plus dire « Embranchement Particulier » mais « Installation Terminale Embranchée », c’est tellement plus distingué…) Enfin, bref, c’est la Bérézina.
Voici le reflet et les causes de mon désarroi devant cette « entité » qui m’a tant fasciné à sa grande époque. Heureusement qu’il me reste ces souvenirs et j’ai la chance de m’être procuré au fil des années quantités de livres dans lesquels de nombreux photographes inspirés ont su restituer toutes les ambiances de cette précieuse période. L’un de mes premiers livres m’a particulièrement marqué, le comble il fut édité en Angleterre, c’est French Steam, avec les photos en noire et blanc de Félix Fénino et Yves Broncard. C’était un vendredi soir d’avril 1970, en rentrant du travail un colis postal m’attendait et à chaque page tournée c’était l’émerveillement. J’y découvrais quantités de locomotives inconnues, notamment les vieilles locos de manœuvre. Plus récemment j’ai éprouvé le même bonheur avec les livres de la collection Images de trains aux éditions La vie du Rail. Les photos sont cette fois en couleurs et l’on peut y découvrir le charme des jolies gares fleuries, des trains mis en valeurs par d’heureux premiers plans, tel une vieille charrue, une vache, une brouette, des enfants admiratifs devant l’arrivée d’un convoi, etc. La série Trains oubliés, aux Éditions du Cabri est aussi d’un grand intérêt. Ce qui me tracasse déjà, c’est le devenir de cette conséquente bibliothèque à laquelle il faut rajouter nombre de revues, et maintenant de cassettes vidéo et autres DVD. L’idéal serait bien sûr qu’un de mes petits enfants attrape le même virus que moi, mais même si c’est le cas, cette période qui m’a tant passionnée n’aura peut-être que peu d’intérêt pour lui. Personnellement la période qui m’intéresse le plus concerne l’immédiat après-guerre jusqu’à la fin des années quatre-vingt, mais ce qui se passe des origines à la création de la SNCF m’a beaucoup moins captivé. Il se pourrait très bien qu’une personne ne s’intéresse aux chemins de fer qu’à partir de l’ère du TGV et que ce qui précède lui paraisse désuet. Mon souhait serait que « ce trésor », qui forme un tout, revienne entre les mains d’une seule et même personne, car dans ces livres j’ai laissé multitudes de notes qui renvoient à certaines revues ou à d’autres livres, pour complément d’informations, parfois même des échanges de courrier avec certains auteurs. Mais je n’en suis pas encore là, et en théorie il me reste encore de nombreuses années pour lire, relire et me délecter de tous ces ouvrages.
Voilà, je pense avoir fait le tour de la question et être venu à bout du sous titre de ce chapitre. Et oui, il n’y a pas de doute, je fais parti des « c’était mieux avant », des nostalgiques, et même si maintenant c’est considéré comme une tare de l’être, je l’assume et je souhaite à tout le monde d’avoir un sujet qui le passionne. J’ai eu la chance d’en avoir plusieurs, en plus des trains, les oiseaux, l’astronomie, certaines musiques… ça aide parfois à traverser certains moments difficiles de l’existence… Ho ! là je m’égare, restons-en là.