Le carnet du CFC

Le petit train de mon arrière Grand-Père

François Borie

Une partie de ma famille est originaire du nord de l’Aveyron et j’ai toujours passé d’agréables vacances dans cette région sans doute à cause de l’accueil que mes grands-parents me réservaient à chaque séjour. Malgré une certaine rudesse, la région est belle pour qui la connaît un peu, aux confins de la Viadène et de l’Aubrac. Aujourd’hui, il est à peu près impossible d’y vivre sans automobile mais « autrefois », à une époque que je n’ai hélas pas connue, le pays était desservi par divers moyens de transports en commun et le train y tenait une bonne place.
Ainsi, Espalion, le chef-lieu du canton (à l’époque révolue où cette dénomination administrative était en usage) possédait une gare SNCF, terminus d’une ligne qui la reliait à Bertholène, sur la ligne de Rodez à Séverac-le-Chateau.

La gare d’Espalion, aujourd’hui propriété de la commune, abrite un centre de loisirs.

L’histoire de la ligne
La création de cette ligne longue de 24 kilomètres a été décidée dans le cadre du Plan Freycinet de 1879. Le Département en a financé une part à hauteur de 160 000 Francs, la commune d’Espalion ayant pris en charge les 600 000 francs restants. La ligne est déclarée d’utilité publique le 24 juin 1897 et le chantier commence dans la foulée si bien que les principaux ouvrages sont achevés en 1904 et que la mise en service a lieu le 25 juin 1908, le temps de poser la voie et de construire les bâtiments.
La desserte était de 3 allers-retours par jour entre Espalion et Bertholène.
Un projet de prolongement jusqu’à Aurillac par Entraygues est resté dans les cartons, au désespoir des habitants du reste de la vallée du Lot.
Mais comme un peu partout ailleurs, le train est concurrencé par la route, d’abord les autocars, puis les voitures particulières, si bien que le trafic voyageurs est supprimé le 6 décembre 1938. Le fret va subsister jusqu’en 1983 à l’issue d’un déclin qui verra passer le tonnage annuel de 21 086 tonnes en 1975 à 8 299 tonnes en 1980. Le trafic consistait surtout en approvisionnements pour l’agriculture (engrais, scories pour l’amendement, machines et au débouché des produits de l’agriculture locale, de poteaux PTT) aussi un peu de charbon pour les besoins locaux.

Un projet de réutilisation par un train touristique en 1981 n’a pu aboutir en raison des coûts d’entretien de l’infrastructure et la SNCF a vendu les bâtiments à des particuliers puis déferré la ligne vers 1995 et enfin cédé la plate-forme aux communes riveraines.
Celles-ci ont alors constitué un SIVU (syndicat intercommunal à vocation unique) pour aménager le parcours en sentier pédestre-équestre-VTT. La Voie Verte ainsi constituée s’intègre à la Véloroute « La vallée du Lot à Vélo » (V86).

Le parcours
Sauf si vous êtes vraiment courageux et quelque peu entraîné, vous ferez, comme moi, le parcours dans le sens Bertholène-Espalion car Espalion est à environ 330 m d’altitude alors que Bertholène est à plus de 600 m, soit un dénivelé de près de 270 m !
 
La balade démarre donc à Bertholène, au passage à niveau de la ligne de Rodez à Séverac-le-Château. L’ancien raccordement de la ligne d’Espalion est quelques dizaines de mètres plus à l’ouest et se rejoint par un chemin qui longe la voie ferrée.

Le premier ouvrage important est le pont métallique sur l’Aveyron.


La ligne continue souvent en tranchée, enjambée par de petits ponts permettant les dessertes locales.


Le Dourdou est franchi sur un pont de pierre.


Et nous voici déjà en gare de Bozouls. Deux couverts sont garés sur des coupons de rails le long du quai… mais ce sont des wagons à voie métrique, manifestement importés ici pour la déco !


Jusqu’ici, la ligne était quasiment à plat, à partir de maintenant, commence la descente sur Espalion : en 12 km environ, nous allons perdre environ 250 m d’altitude avec des passages en déclivité de 3 %. La descente s’amorce dans une tranchée aux parois verticales creusée dans le calcaire du causse et qui n’est pas sans rappeler, en plus petite, le fameux « trou de Bozouls » tout proche.


La plupart des bâtiments ont été conservés dans un état très proche de l’origine, ici la halte de Banc.


Et ici celle de Biounac.

Tout comme les maisons de garde-barrières… parfois bien isolées comme celle-ci, située entre le tunnel de Biounac et celui d’Hautefeuille.


Le premier tunnel rencontré est celui de Biounac : long de 574 mètres et en courbe, il a été éclairé par le SIVU avec des LEDs alimentées par des panneaux solaires.

A partir de là, la ligne parcourt une succession de virages en lacets, ponctuée de tunnels, ici celui d’Hautefeuille…


...et de viaducs, ici le viaduc du Plo. Celui-ci est en alignement… 

… d’autres sont en courbe, comme le viaduc de la Loubière, long de 103,46 m et haut de 24,28 m…


Ce viaduc offre une vue imprenable sur le château de Calmont qui domine Espalion. Comme tous les ouvrages importants, il porte sa date d’achèvement.

Un dernier raidillon abrité par un mur de soutènement en arcades et nous débouchons sur la plate-forme de la gare d’Espalion, terme de notre randonnée.


Juste à côté du bâtiment voyageurs, un ultime coupon de voie est installé « en pot de fleurs » pour rappeler que le train passait par là...

Une belle promenade avec pourtant un peu de nostalgie et beaucoup d’admiration pour les prouesses techniques déployées par les constructeurs de cette ligne… et des regrets pour le peu d’utilité qui en a été retirée par la suite : à peine 30 ans de service voyageurs et 75 ans d’utilisation ferroviaire au total !
Il faut reconnaître aussi que ce tortillard, s’il avait du charme et a bien contribué au désenclavement de régions essentiellement rurales, ne répondait pas au critère de rapidité du monde moderne. Ma grand-mère racontait qu’en revenant d’un banquet de noces, sans doute bien arrosé de vin local, un des voyageurs ayant perdu son chapeau est descendu du train en pleine marche, a ramassé son couvre-chef puis est remonté dans une des voitures suivantes pour regagner son compartiment en longeant les marchepieds et en sautant d’une voiture à l’autre… C’est dire la rapidité du convoi ! Vous ne feriez pas cela dans un TGV, et même pas au Chemin de fer des Chanteraines !

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